L’article 273-2-9 du code civile prévoit :
« la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux »
et :
« Lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. »
La loi grave ainsi dans le marbre un principe d’existence de deux catégories de parents :
– des parents de plein exercice chez qui l’enfant réside et qui continuent à porter en eux l’ensemble des droits et devoirs parentaux ;
– des sous-parents réduits à ne recevoir leur enfant chez eux qu’en simple visite, déchus de la résidence de leur enfant, et de ce fait déchus d’une partie de leurs droits et devoirs.
Ce sont très majoritairement des pères qui subissent ce déclassement.
Cette inégalité de statut inscrite dans la loi – parent chez qui l’enfant réside / parent chez qui il ne réside pas – est d’une grande portée symbolique et induit de nombreuses conséquences pratiques et matérielles.
a. Du point de vue de l’enfant
Ce principe intrinsèquement inégalitaire, déjà choquant en lui-même, l’est plus encore lorsqu’on le considère du point de vue de l’enfant.
L’enfant de parents séparés qui n’a pas pu bénéficier de la résidence en alternance, quelles qu’en soient les raisons, quel que soit son âge, comprend très bien qu’il y a désormais un logement qui est sa « vraie maison », qui est là où il habite, et un autre logement où il n’habite pas vraiment.
Il comprend très bien qu’il y a désormais :
– un parent principal, un parent secondaire ;
– un parent que tous (enseignants, intervenants médicaux ou sociaux, parents des copains, copains… et finalement aussi lui-même) considèrent comme étant LE référent, comme étant décisionnaire pour tout ce qui peuple son quotidien et constitue son cadre de vie, un parent que l’on consulte à peine, que l’on informe tout juste à quelques rares grandes occasions comme on informerait une lointaine parentèle ;
– un vrai parent qui porte en lui l’entièreté des attributs qui fondent le lien parent-enfant, un parent d’une parenté plus ou moins optionnelle.
L’enfant intègre l’inégalité parentale comme une donnée intrinsèque à sa propre existence.
b. Du point de vue des droits et devoirs parentaux
La notion d’autorité parentale conjointe1, supposée consacrer l’égalité des pouvoirs et devoirs du père et de la mère dans l’éducation des enfants, est une leurre pour le parent qui ne bénéficie pas de la résidence de son enfant. L’inégalité parentale étant puissamment inscrite dans la loi par la non résidence de l’enfant, l’autorité parentale conjointe n’est qu’une médaille en chocolat inventée par le législateur pour se donner bonne conscience et faire montre d’une pseudo visée égalitaire.
D’une part l’autorité parentale du parent non résident ne concerne que les grands événenents de la vie de l’enfant (comme par exemple l’orientation scolaire ou les soins médicaux importants). Or ces quelques grands choix ne jouent qu’un rôle très limité dans l’éducation dont l’essentiel se construit dans le quotidien du vivre ensemble.
Mais quel vivre ensemble ? quelle qualité du vivre ensemble ? lorsqu’on ne réside même pas ensemble !
D’autre part, la législation ne prévoit aucune sanction si un parent ne respecte pas ces miettes d’autorité parentale laissées au parent non résident. La section du Code Pénal consacrée à ce sujet et titrée Des atteintes à l’exercice de l’autorité parentale le montre clairement. Seules la non représentation d’enfant, la soustraction d’enfant et l’absence de notification de changement de domicile de l’enfant y sont explicitement sanctionnées (et encore ces dispositions ne sont-elles souvent pas appliquées, voir notre page à ce sujet). Un parent empêché d’exercer sont autorité parentale, par exemple dans le domaine de l’orientation scolaire, pourra toujours tenter de saisir le juge aux affaires familiales, mais cette saisine est illusoire.
Au fond, chacun sait que dans la pratique le parent chez qui l’enfant réside est seul réel décisionnaire sur la quasi totalité des droits et devoirs relatifs à l’enfant. Le pouvoir exécutif qui est dans ses mains est un pouvoir exclusif ou quasi exclusif pour les questions courantes – celles qui constituent l’essentiel du cadre de vie de l’enfant et l’inscrivent dans une relation filiale. Mais ce pouvoir est aussi un pouvoir concret d’autorité et d’influence sur l’enfant et son environnement sociétal. Lorsqu’une décision qui relève de l’autorité parentale conjointe doit être prise, la voix du parent résident est, de fait, naturellement prépondérante.
Dans la pratique, le parent principal ne partagera son pouvoir avec l’autre parent que s’il le veut bien.
Obtenir la résidence exclusive des enfants, c’est obtenir un pouvoir d’accaparement.
c. Du point de vue administratif, et d’un point de vue matériel
La résidence chez un seul parent engendre de nombreuses conséquences administratives, et de nombreuses inégalités matérielles entre des parents pourtant prétendument égaux pour notre République.
L’obtention de la résidence exclusive de l’enfant ouvre la voie à bien des avantages : parts fiscales enfants, majoration de parts fiscales « parent isolé », allocations familiales, allocation de rentrée scolaire, allocation de soutien familial, aides au logement, supplément familial de traitement (dans la fonction publique), avantages « famille nombreuse », aides diverses calculées sur la base du quotient familial (aides communales ou départementales, aides à la rénovation des logements, etc.).
Le parent non résident, même s’il bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement dit « élargi », même s’il a concrètement la charge de ses enfants une part substantielle du temps annuel, est exclu de tout cela. Sa contribution matérielle aux besoins de l’enfant peut être importante ou très importante. Ses dépenses réelles pour ses enfants peuvent être, ce qui semble assez fréquent, largement supérieures à celles du parent résident. Qu’importe ! Le principe est the winner takes all : celui qui gagne la résidence de l’enfant remporte la totalité des avantages matériels.
Remarquons que les études statistiques et les recherches dans le domaine de la famille suivent aveuglément cette logique. Lorsqu’il est question d’étudier par exemple le niveau de vie des parents après la séparation, les parents non résidents ne bénéficient d’aucune unité de consommation pour leurs enfants (c’est à dire d’aucune part enfant dans le calcul de leur niveau de vie) : ils sont réputés n’avoir pour leurs enfants aucune dépense excepté la pension alimentaire. Il s’agit là d’un biais majeur qui fausse complètement les résultats. On voit ainsi l’INSEE annoncer crânement que « la perte de niveau de vie directement imputable à la rupture est de l’ordre de 20 % pour les femmes et de 3 % pour les hommes » 2. Forcément… quand on part de prémisses absurdes on arrive à des résultats caricaturaux (et faux !). France Stratégie, qui prend pour base de calcul des prémisses plus honnêtes, arrive à des résultats bien différents : « la charge des enfants entraîne un sacrifice de niveau de vie sensiblement plus important pour le parent non gardien que pour le parent gardien »3,.
d. Du point de vue symbolique
Déchoir un parent de la résidence de son enfant est un acte symbolique très fort. Le parent qui en est victime perd sa dignité, aux yeux des institutions, aux yeux de son entourage, aux yeux de l’entourage de son enfant, aux yeux de son enfant lui-même.
L’horrible expression de famille monoparentale en témoigne. Le parent non résident est tellement décrédibilisé que ses enfants sont réputés vivre en situation de monoparentalité.
Mono-parentalité : un seul parent !
L’autre est-il mort ?
Non, mais il a été évincé !
Mais oui, il est sociologiquement mort !
La déchéance de résidence est un meurtre parental.
e. Des enjeux qui engendrent des conflits au détriment des enfants
Comme nous l’avons vu, les enjeux directement ou indirectement liés à la résidence de l’enfant sont extrêmement importants. Pour un parent vindicatif et mal intentionné, ou plus simplement pour un parent vénal, la tentation peut être est forte d’obtenir les avantages liés à la déchéance de résidence de l’autre parent ; quels qu’en soient les moyens employés ; quelles qu’en soient les conséquences sur l’enfant.
Il est hélas plus que vraisemblable que de nombreux conflits judiciaires soient nourris d’intérêts matériels ou symboliques qui ont bien peu à voir avec l’intérêt de l’enfant.
L’intérêt de l’enfant, que les textes qualifient pourtant de supérieur, trouve-t-il son accomplissement dans l’inégalité parentale créée par la déchéance de résidence ?
Un enfant se porte-t-il mieux en voyant un de ses parents frappé d’indignité parentale ?
Qui trouve son compte dans un système judiciaire et sociétal qui récompense de nombreux avantages celui qui obtient d’écarter l’autre de ses enfants ?
Sûrement pas l’intérêt de l’enfant.
Sûrement pas les enfants.
Notes :
1 ⇑L’article 372 du code civile dispose : « Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale. » et l’article 373-2 : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. »
2 ⇑INSEE rapport Couples et familles, édition 2015, p. 51.
3 ⇑France Stratégie, note d’analyse n° 31 Comment partager les charges liées aux enfants après une séparation ?, juin 2015.
On remarquera à ce sujet qu’en 2015 la presse a largement fait écho, sans aucun recul, aux résultats biaisés de l’INSEE tandis que les résultats bien plus réalistes de France Stratégie ont été peu relayés.