Page créée le 2 février 2020
mise à jour le 27 mars 2020


Remplacer le père

Considérons la situation suivante.

Un père est séparé de ses enfants.
Il sont ensemble un week-end sur deux.
C’est-à-dire très peu.
C’est-à-dire trop peu pour que le lien parent-enfant se maintienne vibrant, vivant.
Car ce lien s’ancre dans le quotidien.
Ce lien par lequel on est vraiment père de son enfant, par lequel on est vraiment enfant de son père.

Au fil du temps, le père et ses enfants auront mécaniquement de moins en moins à partager.
C’est imparable !
Comment imaginez-vous que l’on pourrait compenser deux semaines d’absence en 48 heures ? 1
Comment imaginez-vous que parent et enfant pourraient l’espace de rares week-ends recoller avec le hors champs de deux longues semaines de vie séparée ?
L’univers de l’enfant est d’abord imprégné de tout de qu’il se passe en semaine : l’école, les copains d’école, les activités sportives ou musicales…

Les pourquoi et comment cet homme et ses enfants se trouvent être séparés n’importent pas ici.
Les responsabilités réelles ou supposées de l’un ou de l’autre parent n’importent pas pour le propos de cette page.
Ce père n’est sans doute pas un père idéal, mais c’est un père « normal », avec ses défauts, avec ses qualités, sans pathologie relationnelle grave et caractérisée.
Considérons donc qu’il s’agit d’un père « suffisamment bon », pour paraphraser Donald Winnicott.
Ce dont nous parlons ici est de l’immense cohorte de tous ces pères et enfants qui sont trop peu souvent ensemble et dont le lien s’effiloche au fil du temps séparé, par manque de temps partagé, par extension de la déchirure spatio-temporelle en déchirure relationnelle.

Considérons maintenant que la mère, comme on dit, refait sa vie.

Un autre homme prend place dans le quotidien des enfants.

Considérons que cet homme, est lui aussi un homme « normal », avec lui aussi ses qualités et ses défauts, mais sans tendance pathologique particulière.

Ce dont nous parlons est de la large majorité des situations des familles dites « recomposées ».

Le nouvel arrivant partage le quotidien des enfants.
Petit à petit, naturellement, il fera partie des jeux, des rires, des bons et mauvais moments.
Petit à petit, naturellement, il participera, puis fera, ne serait-ce que de temps à autres, la lecture du soir, le coucher, le lever, le repas, la dépose et récupération à l’école, les devoirs… tout ces petits moments tellement fondamentaux de la vie partagée.
Petit à petit, il fera naturellement partie des discussions, des échanges, des petites décisions de la vie de tous les jours, puis peut-être de grandes décisions.
Petit à petit, naturellement, un lien se créera.
Petit à petit, naturellement, ce lien deviendra fort car ancré dans le partage du quotidien.

Dans le même temps, naturellement et inévitablement, le lien avec le père s’étiolera par manque de cet ancrage dans le quotidien, par manque de vivre ensemble.

Et puis, il est probable que la mère trouve beaucoup de qualités à son nouveau compagnon.
Quoi de plus normal puisqu’elle l’a choisi pour partager sa vie ? Il est normal qu’elle investisse sa nouvelle relation.
Et n’est-il pas gentil avec les enfants ? Et n’est-il pas manifeste que les enfants s’attachent à lui ? Voyez comme ils s’entendent bien…

Il est probable aussi que la mère trouve un certain nombre de défauts à son ancien compagnon et père de ses enfants.
Quoi de plus normal puisque la séparation sans doute a été rude, et a laissé des traces sombres ?
Il est probable aussi que la mère oublie un peu, beaucoup peut-être, les qualités qu’elle avait aimé chez lui : avec le temps le bon et le beau perdent de leur éclat, tandis que les blessures s’enkystent.

La mère, forcément, rayonnera ces sentiments.

Le bon, le beau, c’est son nouveau compagnon de vie, celui qui la rend heureuse.
Le moins bon, le moins beau, parfois le méchant, c’est son ancien compagnon et père de ses enfants.

Celui qui est un appui au quotidien, présent auprès d’elle et auprès des enfants, c’est le nouveau compagnon.

Le père, lui, est surtout devenu synonyme de contraintes.
Il faut composer avec le calendrier du « droit de visite et d’hébergement ». Il faut gérer la circulation des affaires scolaires, des médicaments lorsque les enfants sont malades, des habits… Il faut s’astreindre à recueillir sa signature pour ce qui relève de ce que l’on appelle l’autorité parentale ; et que de conflits s’il n’est pas d’accord avec les choix de la mère ; avec la tentation de passer outre cet empêcheur de vivre en rond qui voudrait donner son avis sur ce qui selon lui est bon ou non pour les enfants.

Celui qui est absent, mais porteur de contraintes bien présentes qui compliquent la vie de la nouvelle « famille recomposée », c’est le père.

Inévitablement la mère rayonnera ces sentiments dans ses mots, ses intonations, ses expressions, ses gestes… ceci pendant le temps où les enfants sont chez elle, c’est-à-dire presque tout le temps.

Si la mère est attentive au bien de ses enfants, peut-être s’efforcera-t-elle de contrebalancer quelque peu ce rayonnement naturel en essayant de projeter auprès d’eux une image positive de leur père. Mais sous le positif explicite, l’implicite négatif qu’elle ne pourra empêcher de sourdre imprimera sa marque profonde.

Et si la mère ne sens pas cette nécessité de donner une image positive du père, ou pire, si elle le dénigre ouvertement… est-il nécessaire d’en dire les ravages ?

Dans tous les cas les enfants, qui sont des éponges à sentiments, s’imprégneront de tout cela, parfois confusément, parfois avec force, parfois avec violence. Et les rares moments qu’ils passeront avec leur père n’auront pas le poids suffisant pour rétablir un équilibre.

Un piège mortel pour la relation père-enfant !
Un piège mortel pour la construction de l’enfant lui-même, qui, faut-il le rappeler ?, sait au plus profond de lui-même qu’il est la chair de ce père empreint de valeurs et sentiments négatifs.

Le père sans doute fera tout son possible pour que ses enfants et lui vivent pleinement le peu de temps partagé.

Mais qu’est-ce que quelques dizaines d’heures face à deux semaines d’absences ? Qu’est-ce qu’un week-end quand jamais on ne se lève ensemble pour aller vers une journée d’école. Demander à un père de maintenir vivante la relation parentale dans de telles conditions, c’est demander de traverser la mer à la nage un sac rempli de pierres sur le dos.

C’est tellement difficile de remettre en marche la relation après deux semaines d’absence. Et tellement épuisant sur le long terme. A chaque fois, à nouveau et à nouveau encore, au cours des mois et des années, tenter de repriser sans relâche les fils du lien, et les voir toujours plus fragiles, cassants.

A quel Sisyphe a-t-on le droit de demander cela ?

Quel crime cet homme peut-il bien avoir commis pour être condamné à regarder, impuissant, ses enfants lui devenir peu à peu étrangers ?

Quel crime ces enfants peuvent-ils bien avoir commis pour être condamnés à vivre cette lente corruption de la moitié d’eux-même ?

Tenter chaque fois de renouer un fil qui sans cesse s’échappe est épuisant.
Au fil du temps le père s’y épuisera.
Au fil de temps les enfants s’y épuiseront.
Les enfants finalement montreront de la réticence à aller chez leur père, ou plus probablement manifesteront quelque chose qui ressemblera à de l’ennui. Manifestations que l’on interprétera bien sûr comme révélatrices de manquements chez le père.
On soupçonnera ce père-week-end de ne pas bien savoir s’occuper de ses enfants, de ne pas avoir un assez bon contact avec eux, de ne pas se rendre assez disponible… de ne pas être un suffisamment bon père.
Double peine toujours.

Dans le même temps, on appréciera la complicité qui s’est nouée entre les enfants et le compagnon de la mère. 2
On se félicitera des qualités de cet homme, et de son influence si positive sur les enfants.
La mère s’en laissera d’autant plus convaincre que cela sera tellement dans son intérêt.

Le cercle vicieux de l’absence et de la perte de lien qui s’alimentent mutuellement, insidieusement, au fil des années. 3

Les enfants, eux, nourriront au fond d’eux-même, en secret de tous, en secret d’eux-même, quelque chose comme la corruption d’une moitié d’eux-même.

Et personne ne s’en souciera.

Notes :

1  Et souvent bien moins que 48h : beaucoup de pères n’ont accès à leur enfant que du samedi matin au dimanche soir, soit à peine plus de 30h passées ensemble !

2  La notion de « parenté domestique » proposée par Irène Théry témoigne bien des conséquences de cette mécanique par laquelle le compagnon de la mère prend place auprès des enfants, Irène Théry allant jusqu’à parler de lien de filiation : « Le parent domestique est celui qui élève l’enfant sous son toit. Cette notion, qui réfère à la domus latine, est plus éclairante que celle de parent social ou de parent psychologique, car c’est la cohabitation dans le même foyer qui est ici essentielle : le quotidien partagé, l’exercice des responsabilités éducatives, les échanges affectifs entre le parent et l’enfant tissent les liens de filiation. » (Irène Théry, « Penser la filiation », in La parenté en question(s), sous la direction de Véronique Bedin et Martine Fournier, Editions Sciences Humaines, 2013, p.57)
Le père qui a été éloigné de son enfant, impuissant, voit ainsi un autre homme construire naturellement et inévitablement avec ses enfants un lien de « parenté domestique », des « liens de filiation ». Ce ne sont cependant pas ces liens en tant que tels qui posent problème, mais le déséquilibre de « quotidien partagé » qui en parallèle efface le parent éloigné. Dans une situation de résidence alternée, ou plus généralement de shared parenting, un équilibre peut se créer et permettre à chacun des parents de pleinement conserver sa place auprès de ses enfants tout en laissant s’établir de nouveaux liens qui alors ne s’inscrivent pas en concurrence des liens parentaux.

3  Des femmes éloignées de leur enfant vivent cette même mécanique infernale et se voient évincées dans leur affection, leur rôle, et leur dignité de mère. Si ce livre est focalisé sur les souffrances des pères et des hommes en général, notre empathie se porte tout autant vers les femmes qui subissent ce que nous dénonçons.

Ancienne version de cette page :

Commentaires

  1. Excellent texte qui décrit très bien selon moi la pire injustice qu’un père puisse vivre dans une vie. Un enfant qui a subit de l’aliénation parentale qui le rejette a cause d’une mère perverse narcissique qui a dénigrée le père pour s’accaparer seule l’amour de ses enfants. Et on ne punit jamais ce genre de charogne de perverse narcissique .Et après les féministes veulent nous faire croire qu’elles veulent l’égalité avec les hommes. C’est un mensonge honteux, car elles veulent la garde des enfants pour elles seules et surtout tout l’argent qui vient avec ça naturellement. Ces femme sont des égocentriques profondes et nous devons les dénoncer car ce sont de grandes malades qui souffre d’un trouble de la personnalité narcissique dont la base est justement un égocentrisme profond et un manque d’empathie face aux sentiments et aux besoins des autres.

    1. Bonjour Pierre,
      Je suis d’accord que le féminisme ne veut plus, depuis bien longtemps, l’égalité avec les hommes.
      Concernant l’aliénation parentale, il ne faut pas oublier que des femmes en son victimes. L’ACALPA, par exemple, compte de nombreuses femmes victimes d’aliénation parentale parmi ses adhérents. Néanmoins, la position des pères est particulièrement fragile du fait de la matrifocalité exacerbée de notre société.
      Les tendances à la perversion narcissique, elles, sont assez probablement bien partagées entre les sexes. Là au moins, sans doute, il y a une forme d’égalité…

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