Maternité
Un homme et une femme ont conçu un enfant. Pendant neuf mois ils ont suivi à deux, pas à pas, jour après jour, la grossesse. Ils ont préparé à deux le nid douillet qui recevra leur enfant. Sans doute s’est-il attentivement occupé d’elle, qui porte leur enfant et dont le ventre devient lourd. Peut-être a-t-il refait la chambre où déjà trône le berceau. Ils se tiennent la main sur le grand fleuve de la vie. Puis vient le grand jour. Ils partent ensemble pour… la maternité.
MATERNITÉ
L’intitulé est clair comme brille une lame qui séparerait celle qui est légitime de celui qui est quelque chose comme un intrus.
Ils sont deux mais sur le fronton elle seule est attendue. C’est écrit !
Et l’enfant prendra son premier souffle, poussera son premier cri, dans un lieu dont le nom exclut, d’emblée, son père.
Maison de naissance1, par exemple, ne serait-il plus approprié, et plus beau ?
Mais quelle est l’étymologie du mot maternité dans son acception qui nous intéresse ici, celle d’établissement de naissance ?
Masculinités.fr a mené l’enquête. Voici ce que nous avons trouvé.
A Paris sous l’ancien régime, les femmes en couches indigentes, dont l’état de pauvreté ne permettait pas d’assumer la charge d’un enfant, étaient dirigées vers l’Hôtel-Dieu. Après l’accouchement, le nouveau né était séparé de sa mère et amené dans un autre établissement, l’Hôpital des Enfants Trouvés, où il était confié à des nourrices. En 1793, M. Hombron, greffier-receveur-économe de cet établissement s’en émut et proposa de rassembler en un même lieu destiné aux mères nécessiteuses service d’accouchement et service d’allaitement. Ainsi fut fondé par la Convention l’Hospice de la Maternité. Celui-ci fut installé à Paris dans l’ancien couvent de Port-Royal. Les première femmes enceintes y arrivèrent en 1796. En 1814, le service d’accouchement de l’Hospice de la Maternité fut à nouveau séparé du service des enfants trouvés, et installé dans un bâtiment dédié. C’est alors que celui-ci prit le nom de Maternité. L’école de sages-femmes développée à partir de 1802 au sein de l’Hospice de la Maternité y fut aussi installée. Une plaque rappelant cette implantation est aujourd’hui visible à proximité de l’entrée édifiée en 1888 de la Maternité de Port-Royal, à l’angle du boulevard de Port-Royal et de la rue du Faubourg Saint-Jacques.
Il est intéressant de remarquer que ce mot, maternité, a d’abord désigné un établissement dans lequel des enfants naissaient d’une mère seule, sans entourage familial et sans père identifié. Les femmes, dans les familles, accouchaient à la maison. Ce n’est que beaucoup plus tard, à partir des années 1930, que s’est installée la pratique de l’accouchement à l’hôpital. Cet usage ne s’est généralisé qu’au milieu du XXe siècle. Le terme maternité a perduré, désignant pourtant une réalité très différente de celle de ses origines.
Ne serait-il pas temps d’offrir aux lieux où naissent nos enfants un nom qui n’exclut pas leurs pères ?
Sources :
– Hucherard (agent de surveillance), Sausseret (Préposé à l’Etat civil) et Girault (contrôleur du Mouvement intérieur de l’Hospice de la Maternité), Mémoire historique et instructif sur l’hospice de la Maternité, Conseil général d’administration des hospices civiles et secours de Paris, impr. des hospices civils, Paris, 1808, pp. ix à xi. Disponible en ligne sur Gallica.
– Principes de l’ordonnance et de la construction des batimens, Notices sur divers hôpitaux […], Paris, 1812, p 27. Disponible en ligne sur Gallica.
– Henriette Carrier, Origines de la Maternité de Paris, Georges Steinheil éditeur, Paris, 1888, pp. 230 et 231. Disponible en ligne sur Gallica.
– Nathalie Sage Pranchère, L’école des sage-femmes, Naissance d’un corps professionnel 1786-1917, Presses universitaires François-Rabelais, Tours, 2017, chapitre 3. Disponible sur openedition.org.
1 ↑ L’expression maison de naissance a été préemptée dans un contexte plus spécifique. C’est dommage, elle aurait avantageusement pu remplacer maternité.
Assistant maternel
Remarquons tout d’abord que l’on ne rencontre que rarement ce nom de métier dans sa forme neutre d’assistant maternel. La forme courante est assistante maternelle. Non contents d’exclure le père dans l’intitulé de la profession, nous excluons dans la pratique langagière les hommes dans leur ensemble de l’environnement du petit enfant.
Assistant maternel ! Ne ferait-on donc qu’assister la seule mère ? Le père n’a-t-il pas aussi recours à ses services ? Ici encore il est invisibilisé.
Cette terminologie discriminatoire envers les pères et plus généralement envers les hommes est récente.
Depuis l’antiquité au moins, des femmes, que notre langue nomme nourrices, ont été rémunérées pour allaiter et garder des enfants de parents de haut rang. Le recours à une nourrice, qui était jusqu’à la fin du moyen-âge essentiellement réservé à la noblesse, s’est par la suite très largement étendu jusqu’à concerner de larges pans de la population. Enfin, cette pratique s’est peu à peu transformée avec l’apparition des substituts du lait maternel dans la seconde moitié du XIXe siècle et leur diffusion au début du XXe siècle, la garde de l’enfant prenant le pas sur l’allaitement. L’appellation nourrice est pourtant restée employée jusqu’en 1977, et perdure aujourd’hui encore sous forme de trace dans l’appellation populaire nounou.
Le terme assistante maternelle a été créé par la loi du 17 mai 1977. La loi ne le décline alors qu’au féminin, bien qu’ouvrant la profession aux hommes. Il faudra attendre la loi du 27 juin 2005 pour qu’apparaisse dans les textes la forme neutre d’assistant maternel.
Assistant de la petite enfance – ou bien assistant parental si l’on souhaite conserver la référence au parent plutôt qu’à l’enfant – ne serait-il pas préférable ?
Sources :
– Page historique de la profession sur le site de l’Union Fédérative des Associations de Familles d’Accueil et Assistants Maternels.
– Page historique de la profession sur le site assmat.com. (Septembre 2023 : le site assmat.com ne semble plus accessible. On peut néanmoins retrouver cet intéressant historique de la profession grace à l’Internet Archive. Pour accéder à l’archive de la page assmat.com/doc/historique.htm, rechercher la dernière version archivée de assmat.com puis cliquer sur le mot « histoire » dans le troisième paragraphe.)
Protection Maternelle et Infantile
Le titre est clair : il s’agit de protéger la mère et l’enfant.
La mère, d’abord, puis l’enfant. Remarquons l’ordonnancement des mots.
Le père ? Sans doute considère-t-on qu’il n’a pas besoin de protection. Ou bien n’en est-il pas digne ? Ou bien le juge-t-on quantité négligeable ? Si protéger la mère c’est protéger l’enfant, peut-être considère-t-on qu’on ne protégerait pas l’enfant en protégeant aussi son père.
D’où vient cet intitulé ouvertement patriphobe ?
Les PMI, services départementaux de l’État, ont été créées par ordonnance le 2 novembre 1945. Au sortir de la guerre la situation sanitaire est désastreuse. L’exposé des motifs indique : « La mortalité infantile atteint actuellement en France des chiffres si alarmants que des mesures rigoureuses doivent être prises immédiatement pour l’enrayer. » La création d’une « protection médico-sociale maternelle et infantile » répond à ce sujet majeur de santé publique. Elle vise la « protection sanitaire et sociale des femmes enceintes et des mères, ainsi que celle des enfants n’ayant pas dépassé deux ans révolus, et de ceux de trois à cinq ans révolus, dits enfants du second âge. »
Le père est quasiment absent de cette ordonnance constituée de plus de 50 articles. Il n’est mentionné que pour indiquer qu’il faudra l’examiner lui aussi si l’examen de la mère rend cela nécessaire (article 13). On remarquera aussi une quasi absence de référence à la famille dans ce texte (excepté une utilisation ponctuelle de l’expression « mère de famille » dans le titre VI). En particulier, les aides financière prévues ne sont pas destinées aux familles, mais spécifiquement aux femmes (articles 32 à 39).
On peut penser que cette ordonnance entendait particulièrement venir en aide aux filles-mères, comme on disait encore à l’époque. Elle concernait cependant tout autant les femmes mariées, et les naissances hors mariage étaient alors relativement rares (10,5% en 1945 mais il s’agit d’un pic au sortir de la guerre, les naissances hors mariage dans les années 30 et 40 étaient plutôt aux alentours de 7 à 8 % – voir chiffres de l’INED). On peut dès lors questionner la quasi absence de référence à la famille dans ce texte ainsi que la quasi absence de référence au père. Cette ordonnance s’inscrit sans doute dans un mouvement alors naissant d’exclusion de l’homme de la sphère de la reproduction dont le dernier point d’orgue alors que nous écrivons ces lignes est la fabrication d’enfants sans père, l’enfant étant considéré avant tout comme propriété de la femme et non plus comme fruit de l’union d’un homme et d’une femme formant famille et conjointement responsables. Il serait intéressant de creuser plus avant l’inscription de ce texte dans cette dynamique historique.
Protection Infantile et Parentale – ou bien plus simplement Protection Infantile (les parents étant concernés de fait) – ne serait-il pas préférable ?
École maternelle
Sans doute un des termes les plus toxiques. L’école, cette institution première, ce lieu d’apprentissage, de socialisation et de citoyenneté serait donc fondamentalement, exclusivement, associé à la mère ? Le père n’y participerait donc pas ?
Pour l’enfant, pour les parents, pour l’ensemble de la société le message est limpide : le père ne compte pas ; il n’a rien à faire là ; il est un intrus.
Pourquoi cette appellation choquante ? Mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde, disait Camus. Voilà bien un lieu où la célèbre citation s’applique crûment.
Il ne serait pas difficile pourtant d’imaginer mieux. Le système scolaires suisse par exemple évite cette aberration : l’équivalent de notre école maternelle s’y nomme école enfantine.
Dans l’ancien temps, jusqu’à 7 ans environ, âge auquel ils entraient en apprentissage, les enfants vivaient avec les mères ou les nourrices. Mais à partir du milieu du XVIIIe siècle, avec le développement de manufactures puis de l’industrie, des femmes travaillent, laissant parfois leurs enfants livrés à eux-mêmes. A partir de 1769, à Ban de la Roche dans les Vosges où s’était installée une industrie minière et métallurgique, et où commençait à se développer une industrie textile, le pasteur protestant Jean-Frédéric Oberlin met en place une structure d’accueil pour les jeunes enfants pendant que leurs parents travaillent. Puis, à partir de 1826, des « salles d’asile » se développent en France avec le même objectif d’accueillir les jeunes enfants pendant que leurs parents travaillent tout en leur donnant des bases d’éducation.
Les autorités constatant leurs effets très positifs sur l’éducation des enfants, l’arrêté du 28 avril 1848 intègre les salles d’asile dans le système éducatif national, et la loi du 15 décembre 1848 précise leurs modalités d’organisation et de fonctionnement. L’exposé des motif de la proposition de loi contient un passage particulièrement intéressant, pour ne pas dire croustillant.
« Nous avons confié la direction des salles d’asile aux femmes exclusivement. Les hommes, certainement, peuvent y être fort utiles, et nous ne leur interdisons pas absolument d’y prendre une part secondaire dans le cas où leur femme serait placée à la tête de l’asile. Mais là où il s’agit aussi de donner des soins à la première enfance, c’est à des mains de femmes, et surtout à des mains maternelles, qu’il faut laisser cette tendre et minutieuse vigilance. » (La petite enfance à l’école, XIXe-XXe siècles, p. 93)
Au moins, les choses sont dites, pas de faux-semblants… L’époque était à la division des tâches et des responsabilités.
Notre époque, qui se prétend émancipée, fait peut-être montre d’un peu plus de pudeur oratoire, mais se complaît dans ce terreau misandre.
Une « classe enfantine » est créée par la circulaire du 8 octobre 1880 avec pour objectif de délester les écoles de la charge des plus jeunes « dans beaucoup de communes dépourvues de salles d’asile ».
« Dans toute commune où l’école de garçons d’une part, l’école de filles de l’autre sont encombrées par un trop grand nombre d’élèves de moins de sept ans, le mieux est de réunir ces tout petits enfants dans une salle spéciale, et de former, avec ce trop plein des deux écoles, une bonne classe préparatoire, sorte d’intermédiaire entre l’asile et l’école. Cette classe enfantine sera naturellement dirigée par une femme […] » (La petite enfance à l’école, XIXe-XXe siècles, p. 147)
Passons sur la dernière saillie… De la classe enfantine, le législateur aurait pu dériver une école enfantine. Hélas non ! Le décret du 3 août 1881 renomme les salles d’asile en écoles maternelles2.
Comme on le voit, l’appellation école maternelle n’a pas été instituée par hasard. Elle s’enracine dans la très forte séparation des rôles du XIXe siècle, la petite enfance relevant alors du domaine exclusif des femmes. Cent cinquante ans plus tard, dans une société qui revendique l’égalité des sexes, n’est-il pas temps de tourner cette page ?
Sources :
– Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Éditions du Seuil, 1975 (première parution en 1960)
– B. Maucourant, L’école enfantine en Alsace, 1921
– Site le temps des instituteurs (en particulier la page consacrée aux salles d’asile)
– Jean-Noël Luc (sous la direction de), La petite enfance à l’école, XIXe-XXe siècles, Institut national de recherche pédagogique, 1982
2 ↑ Précisons que les salles d’asile s’étaient déjà appelées écoles maternelles pendant quelques mois en 1848. L’arrêté du 28 avril 1848 stipulait qu’elles porteraient désormais ce nom, mais la loi du 15 décembre 1848 était revenue sur ce point et leur avait redonné leur appellation d’origine.