Page créée le 24 avril 2020


Sous-estimation de la contribution du parent non résident

Nous appelons parent résident un parent qui bénéficie de la résidence habituelle ou de la résidence alternée de son enfant. D’un point de vue administratif, son enfant habite chez lui et est à sa charge.
Un parent non résident ne bénéficie, au mieux, que d’un droit de visite et d’hébergement. Son enfant n’est pas considéré comme habitant chez lui, et n’est pas officiellement considéré comme étant à sa charge.

Les dépenses des parents non résidents pour leur enfant sont systématiquement sous-estimées, quand elles ne sont pas purement et simplement ignorées.

Or les juges se basent sur une estimation de la charge que représente l’enfant pour chacun des parents pour décider de la pension alimentaire.
Or les administrations décident de l’attribution et des montants des aides fiscales et sociales en fonction d’une estimation de la charge que représente l’enfant pour le bénéficiaire.

Les conséquences financières de cette sous-estimation sont :
– des pensions alimentaires trop élevées, qui conduisent à ce que des pères contribuent bien plus que proportionnellement à leurs ressources ;
– des aides fiscales inéquitables, le parent résident bénéficiant d’un régime nettement plus avantageux que le parent non résident ;
– des aides sociales refusées au parent non résident (alors que les dépenses qu’il assume pour son enfant, si elles étaient vraiment prises en compte, justifieraient qu’il en bénéficie).

Nous examinons dans cette page quelles sont les contributions, hors pension alimentaire, des parents non résidents à la charge de leur enfant.

Logement
Lorsqu’on reçoit son enfant un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires — et plus encore en cas de droit de visite et d’hébergement dit élargi — 1  il est nécessaire de l’accueillir dans de bonnes conditions. L’enfant a besoin de se sentir chez lui, c’est primordial. Il a besoin d’un espace personnel, d’y retrouver à chaque visite des repères et des affaires qui lui sont propres et constituent un cadre de vie.
En fonction du niveau de vie du parent, il peut s’agir d’une chambre individuelle, d’une chambre partagée avec d’autres enfants, au pire d’un endroit où ranger ses affaires.

Les études manquent cruellement à ce sujet — comme manquent de nombreuses données concernant les parents non résidents, ces invisibles de la statistique. A défaut de chiffres précis, citons le numéro 947 de la revue Etudes & Résultats de la DREES qui, synthétisant les données de l’enquête INSEE Logement 2013, écrit : « Les parents qui vivent sans leur(s) enfant(s), seuls ou en couple, disposent de logements en moyenne plus grands que les personnes seules ou en couple qui n’ont jamais eu d’enfants (environ 10 m2 de plus) […] Malgré cette superficie plus importante, ils sont plus nombreux que ceux qui n’ont jamais eu d’enfant à trouver qu’il manque une pièce dans leur logement […] L’espace supplémentaire dont ils disposent leur semble nécessaire, probablement pour accueillir leurs enfants de temps à autre. » 2
D’autre part, des études australienne et anglaise ont montré qu’un grand nombre de parents non résidents qui bénéficient de visites de leur enfant mettent à sa disposition une chambre (individuelle ou partagée). 3

La dichotomie juridique étiquette un parent comme étant celui chez qui l’enfant réside, tandis qu’il ne viendrait qu’en simple visite chez son autre parent. Cette terminologie du code civil (résidence habituelle / droit de visite et d’hébergement) véhicule l’idée que le parent non résident n’aurait pas ou très peu de dépenses de logement pour son enfant. C’est une idée fausse. Beaucoup de parents non résidents financent des mètres carrés supplémentaires pour recevoir leur enfant. Cela constitue un poste de dépense important.

Mobilier
Lorsque l’enfant dispose d’une chambre ou d’un espace personnel, celui-ci doit être meublé.

Habillement
La pratique d’une valise remplie d’effets personnels qui accompagnerait l’enfant à chaque transition est loin d’être la norme, ne serait-ce que parce que cela est très contraignant sur le long terme. Beaucoup de parents non résidents récupèrent leur enfant avec uniquement son cartable et les habits qu’il porte sur lui. Ici encore peu d’études semblent exister sur le sujet, mais il ne fait aucun doute que beaucoup de ces parents maintiennent une garde-robe ainsi que quelques paires de chaussures et bottes pour que leur enfant ait des habits propres à disposition et pour faire face aux aléas climatiques.

Linge de maison, soins personnels
Le parent non résident doit fournir à son enfant literie, draps, affaires et produits de toilette…

Livres, jeux, jouets, matériel pour activités sportives et artistiques, fournitures diverses…
Sans doute certains parents qui ne voient que très peu leur enfant ne mettent-ils pas à sa disposition tous ces objets et matériels. Cependant, ne serait-ce que pendant la moitié des week-ends et la moitié des vacances, l’enfant a besoin de livres, de jeux, de jouets, d’un vélo, de rollers, d’un maillot de bain et lunettes de piscine, du matériel nécessaire pour s’exercer à ses activités sportives, artistiques, musicales…
Dans le cadre d’un droit de visite et d’hébergement dit classique ou élargi, l’enfant a également besoin de tout ce que nous venons de citer chez ses deux parents. Quelques objets ou matériels peuvent peut-être transiter chaque fois avec l’enfant, mais la plupart doit se trouver en double à chacun des domiciles.

Loisirs, vacances
En fonction de leur niveau de vie et de leurs habitudes culturelles, les parents non résidents, au même titre que les parents résidents, emmènent leurs enfants en vacances, au restaurant, au cinéma, à des activités ou événements sportifs/artistiques, etc.
La plupart des sorties et loisirs ont lieu pendant les vacances et les week-ends. Dans le cadre d’un droit de visite et d’hébergement dit classique ou élargi, cette charge est analogue pour chacun des parents.
Certaines études tendent même à montrer que les parents non résidents réaliseraient plus de sorties avec leur enfant que les parents résidents, sans doute avec la volonté de resserrer à travers ces activités partagées des liens que le manque de temps passé ensemble fragilise. 4

Alimentation
Chaque parent nourrit l’enfant lorsqu’il est avec lui, contribuant à son alimentation proportionnellement au temps passé ensemble.

Santé, activités extra-scolaires, frais exceptionnels
La pratique habituelle est que les restes à charge médicaux, les frais relatifs aux activités extra-scolaires, ainsi que les frais exceptionnels (par exemples les séjours scolaires ou le cas échéant les frais d’inscription dans une école privée) sont partagées entre les parents.

Frais de déplacement lors des transitions
La grande majorité des jugements dans lesquels la résidence habituelle est fixée chez l’un des parents stipule que les frais de transports pour exercer le droit de visite et d’hébergement sont à la charge exclusive du parent non résident. Lorsque les domiciles sont géographiquement éloignés cela peut représenter des sommes importantes. 

De ce tour d’horizon des principales dépenses relatives aux besoins d’un enfant dont les parents sont séparés, nous pouvons tirer deux enseignements notables.

Premièrement, l’idée selon laquelle le parent résident financerait l’essentiel des besoins de l’enfant là où l’autre parent n’aurait généralement que peu de dépenses est une idée fausse.
Il existe sans doute des parents coupés de leur enfant qui ne contribuent pas ou très peu.
Il ne fait aucun doute cependant que des parents non résidents assurent de nombreuses et importantes dépenses pour leur enfant. Au delà de la nourriture sur le temps où leur enfant est avec eux, des parents non résidents financent des mètres carrés, du mobilier, des vêtements et chaussures, du linge, des produits de toilette, des livres, jeux, jouets, matériels sportifs ou artistiques, d’importants frais de déplacement si la distance géographique est grande entre les domiciles parentaux, des sorties et loisirs, des vacances…
Une étude menée en 2018 par des chercheurs de Sciences Po corrobore cela. Ces travaux montrent que les parents non résidents vivant seuls supportent « des dépenses supplémentaires d’environ un tiers de leur revenu disponible, par rapport aux personnes seules sans enfant à charge. » 5

Deuxièmement, dans le processus d’une séparation parentale, la plupart des besoins de l’enfant ne sont pas simplement répartis entre les parents. Ils sont augmentés, parfois dédoublés.
C’est ce que confirme le rapport du Haut Conseil de la Famille consacré aux ruptures familiales : « [Le] coût d’un enfant est supérieur lorsque ses parents sont séparés du fait de coûts en grande partie fixes (peu liés au temps d’accueil de l’enfant) liés au besoin de deux domiciles assez grands pour accueillir le ou les enfants de façon décente et aux éventuels coûts de transports entre les deux domiciles s’ils sont distants. » 6

Parmi l’ensemble des postes de dépenses budgétaires d’un foyer, seuls l’alimentation et les soins personnels sont a priori d’un niveau comparable à l’avant séparation et sont répartis entre les parents proportionnellement au temps de présence de l’enfant. Les autres postes de dépenses sont augmentés par la séparation parentale, certains sont dédoublés. D’autre part, de nouvelles dépenses apparaissent (transport entre les deux domiciles).

Une part importante de toutes ces dépenses est prise en charge par le parent non résident.

La contribution globale du père à la charge de son enfant, qui comprend ces dépenses auxquelles s’ajoute la pension alimentaire, est alors très importante et peut représenter des montants et une proportion des ressources bien supérieurs à la contribution de la mère (celle-ci recevant la pension alimentaire et bénéficiant de beaucoup plus d’aides que le père).

Les administrations sociales et l’administration fiscale qui n’attribuent aucune part enfant au parent non résident ignorent ces contributions, et privent injustement son foyer de nombreuses aides.

D’autre part, les études économiques dont les résultats semblent si bien montrer qu’après séparation les pères ont un bien meilleur niveau de vie que les mères considèrent que les parents non résidents ne supportent aucune charge pour leurs enfants hormis la pension alimentaire. Leurs calculs prennent en compte le coût de l’enfant pour les parents résidents, mais pas le coût de l’enfant pour les parents non résidents : des présupposés biaisés induisent des résultats biaisés. Le coût de l’enfant pour les parents non résidents étant loin d’être négligeable, les résultats de ces études en sont largement faussés. Nous prévoyons d’écrire une page sur ce sujet. 

Notes :

1
  Lorsque le juge décide d’un droits de visite et d’hébergement (DVH), il s’agit pour 57% des enfants d’un DVH dit classique (un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires), pour 11% des enfants d’un DVH dit élargi (avec par exemple un mercredi supplémentaire), pour 9% des enfants d’un DVH réduit. Pour 10% des enfants le droit est limité à un droit de visite (dans un lieu neutre ou chez un tiers). Pour 4% des enfants, le juge n’accorde ni droit de visite, ni droit d’hébergement. Pour 9% des enfants il s’agit d’un DVH libre. Source : Infostat Justice n°132, Les décisions des juges concernant les enfants de parents séparés ont fortement évolué dans les années 2000, janvier 2015.

2  Études et résultats N°947, Petites surfaces, surpeuplement, habitat dégradé : des conditions de logement plus difficiles après une séparation, DREES, janvier 2016.

3  Henman P. et Mitchell K., « Estimating the Costs of Contact for Non-Resident Parents: A Budget Standard Approach », Journal of Social Policy, 30(3), 2001, p. 505.
Henman et Mitchell citent deux études australienne et britannique : « Le logement étant une dépense majeure, on pourrait penser que les enfants en visite devrait partager les chambres avec les enfants résidents ou dormir sur des lits temporaires dans le salon. Cependant, 90% des parents non résidents interrogés par Woods fournissaient une chambre séparée pour leurs enfants en visite, et environ la moitié offraient une chambre séparée pour chaque enfant en visite. Au Royaume-Uni, Bradshaw et al. ont constaté que parmi les enfants qui restaient dormir chez leurs parents, les trois quarts avaient leur propre chambre. » (c’est nous qui traduisons)

4  Henman P. et Mitchell K., ibid., p. 502.

5  Henri Martin et Hélène Périvier, « Les échelles d’équivalences à l’épreuve des nouvelles configurations familiales », Revue économique vol. 69, Presses de Sciences Po, 2018, p. 303.

6  Les ruptures du couple avec enfants mineurs, dossier du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge adopté le 21 janvier 2020, p. 120.

Commentaires

  1. Bonjour

    Merci pour vos recherches
    Je viens d’écouter un podcast que je suis depuis longtemps « les couilles sur la table » à propos de la différence homme/femme concernant le patrimoine, et même si beaucoup de choses sont vraies et inéquitable pour les femmes, le passage sur la pension alimentaire m’a fait hurler. Je suis moi même en situation de DVH, me battant pour la résidence alternée depuis 2 ans. J’ai un salaire de 6000€,exactement équivalent à celui de de mon ex-compagne à qui je versé 600€ par mois. J’ai beau déduire de mon revenu fiscal global cette pension, il n’en reste pas moins environ 480€ net mensuel à mon entière charge. Je suis exactement dans la situation que vous citez, je loue un 3 pièces gigantesque proche du domicile de madame mon ex, afin qu’ en appel j’ai toutes les chances de réunir les conditions pour obtenir la résidence alternée qui m’a été refusée en première instance.
    Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire sur ma situation.
    Bon courage

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