Page créée le 6 décembre 2019


Un enfant qui n’est pas le sien

Hors adoption, des hommes peuvent être amenés à élever des enfants qui ne sont pas les leurs, rarement des femmes

Il peut être imposé à un homme de subvenir aux besoins d’un enfant qui n’est pas le sien, pas à une femme.

En effet, si la femme qui accouche est certaine d’être mère de son enfant, il arrive qu’un homme soit déclaré père d’un enfant qu’il n’a pas engendré. 1

La loi prévoit une action en contestation de la filiation, qui comme toute procédure judiciaire fait l’objet d’un délai. Si l’homme élève l’enfant, après une durée de cinq ans le lien de filiation n’est plus contestable. S’il ne l’a pas élevé, le délai est au plus de dix ans. 2

Les situations des hommes et des enfants confrontés à une filiation sans paternité biologique peuvent être très différentes selon le moment où ils en prennent connaissance, selon le degré d’implication de l’homme auprès de l’enfant et la qualité du lien qui aura été tissé, selon la sensibilité et la résilience propre à chacun.

Nous n’abordons pas dans cette page la question de la procréation avec donneur dans laquelle un couple dont l’homme a été diagnostiqué stérile recourt volontairement à des gamètes exogènes.

Le père légal élève un enfant dont il croit de bonne foi être père biologique

Considérons tout d’abord le cas où un homme croit de bonne foi être père biologique et élève un enfant. Dans le cadre du mariage, il s’agit d’un enfant né d’un adultère caché par la mère. Hors mariage, celui qui reconnaît l’enfant est probablement le compagnon de la mère, confiant à tort en l’honnêteté de celle-ci à son égard. 3

L’homme qui découvre ou apprend cinq ans après la naissance (dans le cadre du mariage) ou cinq ans après l’acte de reconnaissance (cas hors mariage) que la mère de son enfant lui a menti sur sa paternité ne dispose d’aucun recours.

On peut comprendre le raisonnement qui a présidé à l’instauration de ce délai de cinq ans. Un enfant n’est pas un colis que l’on ballotterait d’une généalogie à une autre. Une fois un lien d’attachement personnel, familial, généalogique mis en place, l’intérêt des enfants n’est sans doute pas de systématiquement tout briser.

Pour autant, ce déni dans lequel la loi enferme parents et enfants est-il toujours la bonne attitude lorsqu’un tel séisme se produit ?

Les réactions dépendront des histoires individuelles et de la personnalité des protagonistes.

Des pères, des enfants, confrontés à ce traumatisme sauront finalement accepter l’inacceptable, sauront porter leur amour parental et filial vers de nouvelles bases et poursuivre pour le meilleur le lien père-enfant, dans la lumière de l’acceptation et non plus dans l’obscurité du mensonge.

Mais peut-il être demandé à tous parmi ces pères, peut-il être demandé à tous parmi ces enfants, une telle capacité de résilience ?

D’autres hommes, d’autres enfants, ne s’en relèveront pas, ou trop mal, en garderont une blessure telle qu’elle oblitérera durablement les relations familiales. La loi obligera ceux-là, pères et enfants, à vivre le mensonge de leur filiation jusqu’à la fin de leurs jours. Est-ce vraiment souhaitable ?

Beaucoup de ces situations pourraient être prévenues par un changement à la fois législatif et culturel.

L’utilisation du test de paternité est interdite en France hors procédures judiciaires (voir notre page à ce sujet). Contrairement à ce que l’on entend souvent, nous pensons que son autorisation et sa généralisation permettrait plus de confiance et de sérénité dans les couples parentaux. Des doutes ou soupçons peuvent empoisonner durablement, parfois à tort, la vie de toute une famille. Le test de paternité pourrait être pensé dans une sorte de rite d’accueil de l’enfant par son père. Et il serait infiniment préférable, dans le cas où le résultat du test serait négatif, que cela soit dit et assumé dès les débuts plutôt que d’éclater des années plus tard en une crise dévastatrice.

Le mensonge est destructeur, seule la pleine connaissance et acceptation des origines peut apporter épanouissement et sérénité.

Aucun enfant ne devrait grandir dans le mensonge sur ses origines. Aucun homme ne devrait être victime d’un mensonge sur sa paternité. Notre société devrait protéger les hommes et les enfants.

Que notre code pénal ne punisse pas le mensonge intentionnel en paternité en dit long sur le regard que nous portons sur la paternité et sur les liens père-enfant.

La procédure judiciaire de contestation de filiation relève du code civil, et ses effets ne portent que sur la filiation elle-même. Aucune sanction n’est prévue pour qui aura sciemment induit en erreur un homme et un enfant. Il s’agit pourtant d’une acte grave, aux conséquences dévastatrices sur la vie de l’homme et celle de l’enfant.

Nous pensons qu’il serait nécessaire d’introduire dans le code pénal une infraction qui permettrait de caractériser et poursuivre de tels faits. 4

Le père légal accepte ou reconnaît un enfant qu’il sait ne pas être le sien, et élève cet enfant

Dans le cadre du mariage, il s’agit d’un mari qui accepte d’élever un enfant qu’il sait être adultérin. Hors mariage, il peut s’agir d’un homme qui accepte de reconnaître et élever l’enfant que sa compagne a eu avec un autre homme. Dans les deux cas une sorte d’adoption qui ne dit pas son nom.

De graves difficultés peuvent survenir en cas de séparation du couple parental.

Si l’homme et l’enfant ont tissé de véritables liens affectifs et si la rupture a lieu avant le délai d’action en contestation de la filiation, la mère peut engager une procédure et tenter d’obtenir de couper tout lien entre eux. L’homme qui aime cet enfant et se considère par rapport à lui dans une relation filiale peut du jour au lendemain n’être plus rien pour lui. L’enfant qui aime cet homme et s’est construit dans sa relation avec lui peut du jour au lendemain se trouver orphelin de cette filiation tant juridique qu’affective.
Et si l’enfant avait été maintenu dans le secret de ses origines et découvre en même temps que le couple parental éclate que son père n’est pas son père, c’est un séisme !
Les choses devant être dites, sans doute serait-il préférable lorsqu’un homme accepte la venu d’un enfant qu’il sait ne pas être sien d’imaginer une procédure d’adoption adaptée à cette situation, qui officialiserait la relation dans la reconnaissance et l’acceptation de la vérité.

Inversement, il peut arriver que par amour pour une femme un homme accepte d’être déclaré père de son enfant sans pour autant que des liens affectifs ne se tissent entre lui et l’enfant. Une fois passé le délai d’action en contestation de la filiation, l’homme et l’enfant sont condamnés à maintenir ce lien qui ne convient ni à l’un ni à l’autre, que l’un et l’autre savent factice. Et en cas de séparation du couple, l’homme peut être amené à assumer la charge matérielle d’un enfant qui n’est pas le sien et avec lequel il n’a pas de réelle relation affective.

Autres situations dans lesquelles un homme est déclaré père d’un enfant qui n’est pas le sien 

D’autres situations peuvent advenir. Par exemple lorsque l’amant d’un soir se sera laissé convaincre que l’enfant est de lui et aura reconnu l’enfant.

Nous ne développons pas plus avant ces situations qui, bien qu’elles existent et constituent des cas parfois tragiques, restent probablement marginales. 5

Des hommes et des enfants ballottés

Les commentaires d’une page de blog sont fort intéressants pour tenter d’entrevoir les drames humains que crée l’incertitude de l’engendrement paternel.

Une avocate, Maître Maïlys Dubois, a posté en juin 2013 un article consacré à la procédure de contestation en paternité. De juin 2013 à décembre 2109 (date à laquelle nous rédigeons la présente page), 67 commentaires y ont été publiés. La plupart décrivent des situations individuelles, à la recherche de réponses judiciaires à des souffrances familiales et personnelles. Une fois enlevés les doublons et commentaires hors sujet ou non exploitables, nous avons comptabilisé 52 situations différentes qui ont été exposées par des internautes, et que nous avons caractérisées comme suit :

– L’enfant demande à ce que soit légalement reconnue sa filiation avec son père biologique : 11 cas
– Le père biologique demande à être reconnu père légal de son enfant : 6 cas

– Le père légal, non biologique, est attaqué pour lui retirer sa paternité : 11 cas
– Le père légal, non biologique, souhaite se désengager d’un enfant qu’il n’élève pas ou plus : 10 cas

Les autres situations concernent des questions d’héritage ou de nationalité.

Ce ne sont là que quelques commentaires sur un blog. Il n’est possible d’en tirer aucun chiffre ayant valeur statistique.

Ces tranches de vie, ces appels au secours, nous éclairent cependant sur les souffrances d’hommes et d’enfants pris au piège d’un mensonge sur l’engendrement. Et des femmes, prises au piège elles aussi de ce mensonge, souffrent aussi.

La légalisation du test de paternité, la mise en place d’une procédure d’adoption adaptée au cas d’un homme qui souhaite accepter l’arrivée d’un enfant qu’il sait ne pas être sien, et la criminalisation du mensonge intentionnel en paternité sont selon nous des pistes pour atténuer l’importance de ces situations et les souffrances qu’elles engendrent.

Notes :

1  Ce qui évidemment ne peut arriver à une femme, excepté dans certaines situations complexes crées par les technologies de la procréation.

2  Plus précisément, la filiation n’est plus contestable : si la possession d’état a duré au moins 5 ans ; au bout de 10 ans en l’absence de possession d’état ; 5 ans après la fin de la possession d’état si celle-ci a duré moins de 5 ans.

3  D’autre situations plus complexes et plus marginales peuvent exister. Nous nous concentrerons dans le cadre de cette page sur les situations les plus courantes.

4  Remarquons qu’il ne s’agirait-là en aucun cas d’un retour à une criminalisation de l’adultère. La sexualité individuelle relève de la morale personnelle, et l’exercice de la liberté sexuelle est une acquis dans notre société. Tromper un mari ou un compagnon est une chose, lui faire croire qu’un enfant est de lui en est une autre. La première doit relever de la morale personnelle et non de la loi. La seconde, de par ses conséquences terribles sur la vie des individus qui sont touchés, doit relever du pénal. Un des objets de la loi est de protéger les individus d’atteintes considérées inacceptables. Comment pourrait-on considérer acceptable cette manipulation aux conséquences délétères qu’est le mensonge en paternité ?  

5  Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres qui touchent à la paternité, il n’existe à notre connaissance aucune donnée statistique.

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