Page créée le 20 mars 2019


Les pères ne demandent pas la garde de leurs enfants

Mais les pères ne veulent pas s’occuper de leurs enfants nous dit-on. La preuve : ils n’en demandent pas la garde1. Cet argument n’est pas honnête et ne résiste pas à l’analyse de la réalité. Il est pourtant brandi de manière récurrente, et trop souvent nous lisons ou entendons que les pères obtiennent de la justice ce qu’ils veulent.
Le raisonnement en est le suivant : les statistiques indiquent que devant les tribunaux les pères demandent peu la garde de leurs enfants, donc c’est à leur demande que la justice confie les enfants à la mère, donc les pères sont satisfaits dans leurs demandes, donc tout est bien dans le meilleur des mondes misandres.

Ce raisonnement est fallacieux car la dynamique judiciaire et sociétale incite ou contraint – et avec quelle force ! – les pères à ne pas demander la garde de leurs enfants. Les pères subissent une énorme pression de la part de l’ensemble des intervenants du système judiciaire, ainsi que plus généralement une énorme pression sociétale.

Les avocats dans leur grande majorité dissuadent les pères de se lancer dans un combat lourd, long et souvent présenté comme perdu d’avance. Des pères s’entendent même dire que demander la résidence alternée risquerait d’indisposer le juge, et qu’il vaut mieux dès le départ se montrer raisonnable. A cela s’ajoutent des questions financières. Les procédures sont très coûteuses dès lors qu’il y a représentation par avocat, d’autant plus coûteuses que ce que l’on demande est difficile à défendre. Pour ceux qui ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle sans pour autant faire partie des catégories aisées, faire face à ces dépenses est difficile.

Hormis les avocats, les intervenants qui sont en contact avec les parents font preuve bien souvent d’idées préconçues fortement ancrées quant au rôle sexué de la parentalité. Que ces préjugés soient assumés ou non, les effets d’influence sur les parents sont univoques : on s’attend à ce que la mère s’occupe des enfants ; on s’attend à ce que le père pourvoie en argent ; on présuppose que les enfants vivront chez la mère dans un cocon douillet bénéfique à leur épanouissement et qu’après tout voir leur père une fois de temps en temps sera bien suffisant ; on se méfie de ce qui pourrait bien leur arriver s’ils allaient vivre chez leur père une semaine sur deux ; on a et on répand la croyance que la mère est première par essence auprès de l’enfant, que le lien au père aussi important soit-il n’est que second, secondaire…
Pour le père il est bien difficile de nager à contre courant des prises de position des psychologues, médecins, travailleurs sociaux et autres intervenants dont la parole est auréolée d’autorité professionnelle. Notons que cela est vrai aussi pour la mère qui se voit dans le même mouvement en quelque sorte assignée à la garde des enfants.

De plus, ces professionnels, particulièrement s’ils sont d’obédience psychanalytique, sont fréquemment hostiles au principe même de résidence alternée. L’influence qu’ils exercent alors auprès des parents n’en est que plus orientée.

L’entourage familial, amical, professionnel du père, mais aussi de la mère, peut faire pression. Sur l’un pour qu’il se contente d’assumer son rôle de pourvoyeur de fonds et qu’il s’estime déjà heureux que ses enfants lui rendent visite de temps à autre. Sur l’autre pour qu’elle ne laisse pas à un homme une part trop importante du soin et de l’éducation des enfants : seule une mauvaise mère laisserait de telles responsabilités au père dont forcément on s’interroge sur sa capacité à s’occuper d’enfants puisque étant de sexe masculin et par là même dépourvu d’instinct maternel.

Ce sentiment de non capacité à s’occuper d’enfants, cette infériorité supposée des hommes par rapport aux femmes, cette primauté d’un instinct maternel fantasmé sont très ancrés dans notre inconscient sociétal. Cela est intériorisé par des pères qui s’auto-dévaloriseront et confieront d’eux-même leurs enfants à la mère parce que ne se sentant pas légitimes, parce que ne se sentant pas capables ; mais aussi parce que ne se sentant pas la force d’affronter les regards qui guetteraient, ils le savent, leurs faux-pas de père en charge d’enfants. Lorsqu’une femme a des difficultés, petites ou grandes, avec les enfants dont elle a la charge, on l’aide. Un homme dans la même situation sera certes sans doute aidé, mais sous les feux de regards lourds de suspicion. Et il en faut de la force pour assumer l’accumulation du poids de ces regards-là !

C’est donc tout l’environnement, mais aussi la construction individuelle des hommes dans une société aux rôles sexués très marqués, qui pousse les pères toujours dans une seule direction : celle de se conformer à ce qu’on attend d’eux.

Les chiffres des demandes des pères auprès des juges aux affaires familiales sont représentatifs des pressions qu’ils subissent. Ils ne sont représentatifs ni des réelles aspirations des pères à s’occuper de leurs enfants, ni des véritables demandes qu’ils exprimeraient s’ils n’étaient à ce point contraints par leur environnement et par le système judiciaire.

Mais à ces pressions s’ajoutent bien d’autres éléments.

La résidence alternée nécessite des moyens que beaucoup de parents n’ont pas2. Comment financer deux logements une fois séparés quand déjà en financer un en couple n’est pas facile ? Pour de très nombreux pères qui n’appartiennent pas aux classes aisées, la résidence alternée n’étant de toute façon pas envisageable, le choix se réduit à :
– arracher les enfants à leur mère pour être celui qui gardera les enfants et conservera un logement suffisamment grand,
– ou bien se sacrifier pour permettre aux enfants de continuer à vivre dans des conditions décentes avec leur mère.
Peut-on vraiment en vouloir à des pères qui se refusent à arracher les enfants à leur mère et se sacrifient ? (Et quand bien même la mère, elle, dans le même temps, arracherait sans états d’âme les enfants à leur père.)

Lorsque la résidence habituelle des enfants a été fixée chez la mère, le père, excepté si ses revenus sont très faibles, paye une pension alimentaire. Il perd de plus l’avantage fiscal des parts enfants et plus généralement toutes les aides liées aux enfants. Ses ressources sont amputées de manière significative3.
Pour la majorité des pères qui n’appartiennent pas aux classes aisées, ce qu’il leur reste de ressources ne permet pas de financer un logement suffisamment grand pour y accueillir leurs enfants. Il leur est alors tout simplement impossible, dans une nouvelle procédure, de demander plus qu’un droit de visite et d’hébergement.
Peut-on vraiment en vouloir à tous ces pères qui ne demandent pas la garde de leurs enfants car se trouvant de fait dans l’incapacité matérielle de les accueillir ?

Les études sur la répartition des tâches dans les couples parentaux le montrent : les hommes passent plus de temps à leur travail que les femmes et ont des temps de transport plus longs4. Ils assument le rôle de pourvoyeur de biens que la société leur assigne. D’une manière générale, les hommes privilégient plutôt des métiers qui rapportent, quitte à y passer plus de temps et à s’éloigner du domicile. Et si on entend des femme se plaindre que leur mari ou compagnon n’est pas assez disponible à leur gré pour s’occuper des enfants et des fameuses tâches ménagères, on les entend peu cependant se plaindre qu’il ramène trop d’argent pour le foyer. En situation de séparation parentale pourtant, l’avocat du père lui dira qu’il travaille trop et trop loin pour envisager de demander la résidence alternée. Puis l’avocat ajoutera que ce n’est pas le moment de diminuer le temps de travail pour se mettre en situation de pouvoir demander à s’occuper des enfants : le juge considérerait la diminution de revenus comme une tentative d’échapper à ses obligations paternelles (c’est-à-dire payer la pension) et sanctionnerait lourdement cette défection.
Faut-il vraiment en vouloir à ces pères qui cumulent heures de travail et temps de trajet pour nourrir leur famille ?

Les pères qui souhaitent s’occuper de leurs enfants se voient souvent dès le premier passage devant le juge réduits à n’exercer qu’un droit de visite et d’hébergement5. Le choc est rude ! psychologiquement, matériellement, symboliquement. Ils sont condamnés (quelle violence que ce mot !) à ne plus élever leurs enfants et ne les voir qu’épisodiquement pour de courtes visites. Il est difficile de s’en remettre et remonter la pente, même si l’on sait – d’autant plus que l’on sait – que chaque mois qui passe délite un peu plus le lien avec les enfants par manque de vivre ensemble. Lorsqu’on est au fond du trou, il faut beaucoup de force pour repartir au combat, demander et redemander la garde de ses enfants face à une administration et une société largement hostiles.
Peut-on vraiment en vouloir à ceux qui, brisés, baissent les bras ?

Les enfants sont fréquemment pris, à des degrés divers, dans un conflit de loyauté vis-à-vis d’un parent. Le parent éloigné de ses enfants (souvent le père) sait alors que demander/redemander la résidence alternée c’est exacerber un conflit destructeur pour ses enfants. Dilemme impossible : perdre ses enfants par insuffisance de vie commune et les laisser grandir en manque de père, ou bien relancer des demandes en sachant pertinemment que le conflit ainsi entretenu les meurtrit !
Faut-il en vouloir aux pères qui, souhaitant « protéger » leurs enfants d’un conflit délétère, cessent d’en demander la garde et se placent en retrait ? (Temporairement pensent-t-ils alors… mais le piège de l’éloignement et de la distanciation des liens se referme inexorablement sur eux et sur leurs enfants.)

De nombreux pères qui veulent rester pleinement pères, mais qui sont de fait empêchés ou bien brisés, émargent ainsi dans les statistiques de la justice au rang de ceux qui ne demandent pas la résidence de leurs enfants.

Les chiffres des demandes des pères devant les tribunaux ne peuvent être interprétés sans prendre en compte l’ensemble de ces facteurs.

L’étude du ministère de la justice auprès de parents divorcés publiée en décembre 20156 reconnaît d’ailleurs cela. Il y est indiqué que la majorité des pères « déclarent que l’intérêt de l’enfant est de partager son quotidien entre ses parents, et que sa résidence devrait être fixée autant chez l’un que chez l’autre ». Seul 11 % des hommes pense que « par principe, la résidence devrait être fixée chez la mère ». Les auteurs de cette étude écrivent : « Une grande majorité des pères […] déposent auprès du juge une demande qui ne coïncide pas avec leur position de principe […] », et ajoutent que « Seuls 25 % des divorcés [pères et mères confondus] qui estiment que la résidence des enfants devrait en principe être alternée en font effectivement la demande. »

La (trop) faible proportion de pères qui bénéficient de la garde de leurs enfants ne résulte donc pas d’une supposée démission des hommes. Les pères font face à des préjugés, inégalités et discriminations qui forment système pour les éloigner de leurs enfants.

Notes :

1  Le rapport du Ministère de la Justice publié en novembre 2013 et intitulé La résidence des enfants de parents séparés, de la demande des parents à la décision du juge indique sur la base de données recueillies du 4 juin au 15 juin 2012 que dans 80% des cas les parents sont d’accord sur la résidence des enfants, et que les parents en accord souhaitent une résidence chez la mère pour 71% des enfants, la résidence alternée est sollicitée pour 19% d’entre eux, la résidence chez le père pour 10%.

2  Voir la revue INSEE première n°1728 publiée en janvier 2019 et intitulée En 2016, 400 000 enfants alternent entre les deux domiciles de leurs parents séparés qui indique : « Le niveau de vie des ménages où vivent des enfants en résidence alternée est supérieur en moyenne à celui de l’ensemble des ménages avec des enfants mineurs. Il y a en effet peu d’enfants en résidence alternée parmi les ménages les moins aisés. »

3 Le rapport de l’INSEE Couples et familles édition 2015 indique que, concernant le niveau de vie, les hommes appartenant aux premier quartile perdent 22% par rapport à l’avant séparation de couple, et les hommes appartenant à la médiane perdent 2%. Mais les calcul de niveau de vie intègrent des parts enfants, qui sont intégralement supprimées aux pères qui n’ont pas la résidence de leurs enfants. Ces chiffres sont donc trompeurs quand à leur réelle capacité financière, bien plus faible encore que cela ne le laisse penser. Ces pères dont le niveau de vie calculé sans aucune charge d’enfant déjà montre une baisse ou forte baisse, sont en réalité dans l’incapacité matérielle de financer les conditions qui leur permettaient de demander la résidence de leurs enfants.

4 INSEE première n°1377 publié en novembre 2011 Depuis 11 ans, moins de tâches ménagères, plus d’Internet.

5 Le rapport du Ministère de la Justice publié en novembre 2013 et intitulé La résidence des enfants de parents séparés, de la demande des parents à la décision du juge indique qu’en cas de désaccord entre les parents sur la résidence de l’enfant, le juge prononce dans 63% des situations une résidence chez la mère, dans 24% des situations une résidence chez le père, dans 12% des situations une résidence alternée.

6 Infostat Justice n°139, bulletin d’information statistique du ministère de la Justice, décembre 2015.

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