Ancienne version publiée le 24 avril 2020


Des pensions alimentaires inéquitables

Nous présentons dans cette page des situations parentales types.

Pour chacune, nous étudions les dépenses du père et de la mère pour leurs enfants, puis nous montrons qu’en déterminant le montant de pension alimentaire conformément au barème des pensions alimentaires du Ministère de la Justice les contributions respectives du père et de la mère sont fortement inéquitables au détriment du père.

Notre objectif n’est pas de couvrir l’ensemble des situations parentales possibles, mais de mettre en lumière à travers quelques exemples le fait que des pères sont fortement lésés financièrement par des pensions alimentaires au montant beaucoup trop élevé.

Les lecteurs intéressés peuvent télécharger la feuille de calcul qui contient les simulations que nous détaillons ci-dessous.

Situation 1 : droit de visite et d’hébergement élargi, domiciles parentaux proches, ressources de 3000 euros pour chacun des parents, deux enfants

Considérons la situation suivante :
Les enfants sont en visite chez leur père 35 % du temps annuel et résident chez leur mère 65 % du temps annuel. 1
Les parents ont le même niveau de ressources de 3000 euros par mois.
Les domiciles parentaux sont proches.
Les deux enfants sont suffisamment grands pour ne pas nécessiter de mode de garde.
Ni la mère ni le père ne se sont remis en ménage.

Comparons les dépenses respectives de la mère et du père pour leurs enfants

– Les dépenses de logement, de mobilier, de jeux, jouets, livres, de garde-robe, de fournitures diverses sont analogues pour chacun des deux parents. En effet, que le temps de présence annuel soit de 65 % ou de 35 %, les enfants ont besoin d’une chambre et de tout ce qui est nécessaire à leur vie quotidienne. Ces besoins sont dédoublés.

– Les dépenses de loisir sont analogues car elles sont principalement réalisées pendant les week-ends et les vacances.

– Les frais extra-scolaires, les restes à charge médicaux, les frais exceptionnels (sorties scolaires par exemple), sont partagés par moitié entre les parents.

– Les frais de rentrée scolaire sont couverts par l’allocation de rentrée scolaire. S’il existe un reste à charge, il est partagé entre les parents.

– L’alimentation et les soins personnels (comme par exemple les produits d’hygiène) constituent les seules dépenses vraiment proportionnelles au temps de présence des enfants. Celles-ci sont assumées à 65 % par la mère et à 35 % par le père.

– Les domiciles parentaux étant peu éloignés, le coût des transitions est relativement faible, mais est intégralement supporté par le père. Les autres frais de transport pendant les mercredis, les week-ends, et les vacances sont analogues pour chacun des parents. Les transports les lundis, mardis, jeudis et vendredis sont exercés par la mère, mais ils concernent essentiellement des déplacements exceptionnels (par exemple visite chez le médecin), leur coût est faible. Pour simplifier, considérons que les coûts des transports assumés par le père et par la mère se compensent.

Au final, la seule différence entre les dépenses assumées respectivement par chacun des parents réside dans l’alimentation et les soins personnels.
Il apparaît ainsi clairement que les dépenses du père pour ses enfants chez qui ils sont en visite 35 % du temps annuel ne sont que faiblement inférieures à celles de la mère chez qui ils résident 65 % du temps annuel.

Cependant, un avantage fiscal non négligeable est attribué à la mère.
En effet, elle bénéficie des demi-parts fiscales des enfants et de la demi-part parent isolé, tandis que le père ne bénéficie que de la déduction de la pension alimentaire dont l’effet sur la diminution de l’imposition est bien moindre pour la catégorie de revenus qui nous intéresse ici (pour les hauts revenus, supérieurs à 4300 euros mensuels environ, la situation s’inverse : la pension alimentaire devient fiscalement plus avantageuse que les parts parent isolé et enfants).

Cependant encore, seule la mère perçoit les allocations familiales (plus éventuellement d’autres aides, comme par exemple le supplément familial de traitement si elle est fonctionnaire).

Cependant enfin, il faut prendre en compte la pension alimentaire, qui s’ajoute aux dépenses du père et se soustrait à celles de la mère.

Le déséquilibre est alors flagrant !
Le père contribue beaucoup plus que la mère pour les enfants, alors qu’ayant les mêmes ressources les deux parents devraient contribuer pareillement.

Essayons de chiffrer ce déséquilibre

Une littérature abondante existe sur la question du coût de l’enfant dans un foyer, et du coût de l’enfant dans une foyer monoparental, mais les résultats divergents et sont difficiles à exploiter 2.
Le coût de l’enfant dans le foyer d’un parent non résident est par contre très peu étudié.
Ne pouvant baser nos calculs sur des travaux qui fourniraient un coût moyen des enfants respectivement pour la mère et pour le père dans la situation type qui nous intéresse, considérons deux hypothèses basse et haute qui permettront de borner le déséquilibre que nous cherchons à chiffrer.

Hypothèse basse :

Supposons que le montant total des dépenses dédiées aux enfants dans le foyer maternel soit de 900 euros mensuels.
Considérant que nous parlons du coût brut de deux enfants, aides et pension alimentaire non déduites, et que ce coût prend en compte l’ensemble de toutes les dépenses relatives aux enfants (logement, fournitures, habillement, loisirs, vacances…) dans le cadre d’un foyer monoparental aux revenus relativement confortables, il s’agit bien d’une hypothèse basse.

Les dépenses pour les enfants dans le foyer du père peuvent être évaluées relativement à ces 900 euros dépensés dans le foyer de la mère.
En effet, comme nous l’avons vu, toutes les dépenses sont analogues excepté l’alimentation et les soins corporels qui sont proportionnels au temps passé avec les enfants.
Supposons que l’alimentation et les soins personnels des enfants représentent 20 % du budget enfants, soit 180 euros mensuels dans le foyer maternel. 3 La mère en assurant 65 % et le père 35 %, le père dépense alors 97 euros chaque mois sur ces postes budgétaires, soit 83 euros de moins que la mère.
Les dépenses du père pour ses enfants sont donc évaluées à 900 – 83 = 817 euros mensuels.

Considérons que la pension alimentaire est de 250 euros par enfant, soit 500 euros mensuels (estimation réalisée à partir du barème des pensions alimentaires du Ministère de la Justice).

La mère perçoit les allocations familiales (131,95 euros mensuels en 2020).

La mère bénéficie de 174,5 euros mensuels d’aide fiscale. 4

Le père bénéficie de 131,5 euros mensuels d’aide fiscale. 5

Le coût net des enfants pour la mère est donc de : 900 – 131,95 – 174,5 – 500 = 93,55 euros mensuels.

Le coût net des enfants pour le père est donc de : 817 + 500 – 131.5 = 1185.5 euros mensuels.

Les enfants coûtent 12,7 fois plus au père qu’à la mère !
Le père finance sur ses ressources 92,7 % du coût net des enfants, tandis quel la mère n’en finance que 7,3 %.
Le père consacre 39,5 % de ses ressources à ses enfants, et la mère seulement 3,1 %.

Appelons niveau de vie personnel les ressources restant disponibles une fois les enfants pris en charge (c’est à dire : ressources moins coût net des enfants).
Le niveau de vie personnel de la mère est de 3000 – 93 = 2907 euros, très au dessus de celui du père qui est de 3000 – 1185 = 1815 euros.

Hypothèse haute :

Supposons que le montant total des dépenses dédiées aux enfants dans le foyer maternel soit de 1800 euros mensuels.
Considérons que l’alimentation et les soins personnels des enfants représentent toujours 20 % du budget, c’est à dire 360 euros mensuels dans le foyer maternel. La mère en assurant 65 % et le père 35 %, le père dépense alors 194 euros chaque mois, soit 166 euros de moins que la mère.
Les dépenses du père pour ses enfants sont donc évaluées à 1800 – 166 = 1634 euros mensuels.

La pension alimentaire, les allocation familiales et les aides fiscales restent inchangées.

Le coût net des enfants pour la mère est donc de : 1800 – 131,95 – 174,5 – 500 = 993,55 euros mensuels

Le coût net des enfants pour le père est donc de : 1634 + 500 – 131,5 = 2002,5 euros mensuels

Les enfants coûtent 2,0 fois plus au père qu’à la mère !
Le père finance sur ses ressources 66,8 % du coût net des enfants, tandis quel la mère n’en finance que 33,2 %.
Le père consacre 66.7 % de ses ressources à ses enfants, et la mère seulement 33.1 %.
Le niveau de vie personnel de la mère est de 3000 – 993 = 2007 euros, très au dessus de celui du père qui est de 3000 – 2002 = 998 euros.

Synthèse :

La réalité étant située quelque part entre nos hypothèses basse et haute, nous pouvons conclure que les pères qui vivent une situation proche de celle que nous décrivons financent au moins 2 euros (probablement aux alentours de 3 euros) pour chaque euro financé par la mère.

Il s’agit d’un violation patente de l’article 371-2 du code civil.
Les parents ayant le même niveau de ressources, le coût des enfants pour le père et pour la mère devraient également être de même niveau.

Quel juste montant de pension alimentaire ?

On peut dès lors s’interroger sur le montant de pension alimentaire qui permettait d’équilibrer le coût des enfants entre les parents.

Les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficie la mère sont supérieurs à ses suppléments de dépense par rapport au père. Cela signifie que, en l’absence de pension alimentaire, le père continuerait à supporter un coût des enfants supérieur à celui de la mère.
Pour obtenir une équitable répartition du coût des enfants, il faudrait que ce soit la mère qui verse une pension alimentaire de 20 euros mensuels au père.
Les lecteurs intéressés peuvent le constater en faisant varier sur notre feuille de calcul le montant de la pension alimentaire.   

Situation 2 : droit de visite et d’hébergement « classique », domiciles parentaux distants de 100 km, ressources de 2500 euros pour le père et 2000 euros pour la mère, deux enfants

Les deux enfants sont avec leur père un week-end sur deux du samedi matin au dimanche soir ainsi que la moitié des vacances scolaires, soit environ 23 % du temps annuel.
Les domiciles parentaux sont éloignés de 100 km (200 km aller-retour).
Les deux enfants sont suffisamment grands pour ne pas nécessiter de mode de garde.
Ni la mère ni le père ne se sont remis en ménage.

Comparons les dépenses respectives de la mère et du père pour leurs enfants

– Le père et la mère mettent chacun une chambre à disposition de leurs enfants. Leurs dépenses en logement et ameublement sont analogues.

– Les enfants étant présents pendant les week-ends et les vacances, le père doit avoir presque autant de livres, jeux, jouets et fournitures diverses que la mère. Supposons néanmoins qu’il dépense 25 % de moins que la mère sur ce poste budgétaire.

– Les enfants étant présents sur des périodes courtes et espacées (excepté les vacances), nous supposerons que le père ne maintient pas une garde robe complète, mais achète le nécessaire pour avoir des habits et chaussures de rechange et faire face aux aléas climatiques. Supposons que le père dépense trois fois moins que la mère en vêtements et chaussures.

– Les dépenses de loisirs peuvent être considérées comme analogues car elles sont principalement réalisées pendant les week-ends et les vacances.
Remarquons cependant qu’il est probable en réalité que les dépenses du père sur ce poste budgétaire soient en fait supérieures à celle de la mère. En effet, des études suggèrent que les parents non résidents réalisent plus de sorties (cinéma, restaurant…) avec leur enfant que les parents résidents, sans doute avec la volonté de resserrer à travers ces activités partagées des liens que le manque de temps passé ensemble fragilise. 6

– Les frais extra-scolaires, les restes à charge médicaux, les frais exceptionnels sont partagés par moitié entre les parents.

– Les frais de rentrée scolaire sont couverts par l’allocation de rentrée scolaire. S’il existe un reste à charge, il est partagé entre les parents.

– L’alimentation et les soins personnels sont proportionnels au temps de présence des enfants. Ces dépenses sont assumées à 77 % par la mère et à 23 % par le père.

– Les transports des enfants en semaine sont assurés par la mère. Les écoles étant habituellement proches des habitations, ces déplacements concernent surtout les activités extra-scolaires et les déplacements exceptionnels comme les visites chez le médecin. Supposons que cela représente 40 km par semaine. Pour 36 semaines scolaires dans l’année, cela fait 1440 km annuels, que nous pouvons chiffrer à 576 euros annuels, soit 48 euros mensuels. 7

– Le père réalise un aller-retour entre les domiciles parentaux une fois par quinzaine en période scolaire plus une fois à chaque période de vacances. Cela représente 23 fois 200 km, soit 4600 km, que nous pouvons chiffrer à 1840 euros annuels, soit 153 euros mensuels.

Hypothèse basse :

Supposons que le montant total des dépenses dédiées aux enfants dans le foyer maternel soit de 800 euros mensuels.

Considérons que l’alimentation et les soins personnels des enfants représentent 20 % du budget soit 160 euros dans le foyer maternel. La mère en assurant 77 % et le père 23 %, le père dépense alors 48 euros chaque mois pour ces postes budgétaires, soit 112 euros de moins que la mère.

Considérons que les dépenses en livres, jeux, jouets et fournitures diverses représentent 10 % du budget soit 80 euros dans le foyer maternel. Sur ce poste budgétaire, le père que nous avons supposé avoir 25 % de dépenses en moins que la mère, dépense alors 20 euros de moins que la mère.

Considérons que les dépenses en vêtements et chaussures représentent 10 % du budget soit 80 euros dans le foyer maternel. Sur ce poste budgétaire, le père que nous avons supposé avoir trois fois moins de dépenses que la mère, dépense 53 euros de moins que la mère.

Rappelons quel la mère dépense 48 euros chaque mois en transports en semaine.

Les dépenses du père pour ses enfants hors transports entre les domiciles parentaux sont alors évaluées à 800 – 112 – 20 – 53 – 48 = 566 euros mensuels.
Le père d’autre part ayant 153 euros mensuels de frais de transports entre les domiciles parentaux, les dépenses du père pour ses enfants sont donc de 566 + 153 = 719 euros mensuels.

Considérons que la pension alimentaire est de 225 euros par enfant, soit 450 euros mensuels (estimation réalisée à partir du barème des pensions alimentaires du Ministère de la Justice).

La mère perçoit les allocations familiales (131,95 euros mensuels en 2020).

La mère bénéficie de 134,5 euros mensuels d’aide fiscale. 8

Le père bénéficie de 50,5 euros mensuels d’aide fiscale. 9

Le coût net des enfants pour la mère est donc de : 800 – 131,95 – 134,5 – 450 = 83,55 euros mensuels.

Le coût net des enfants pour le père est donc de : 719 + 450 – 50.5 = 1118.5 euros mensuels.

Les enfants coûtent 13,4 fois plus au père qu’à la mère !
Le père finance sur ses ressources 93,0 % du coût net des enfants, tandis quel la mère n’en finance que 7,0 %.
Le père consacre 44,8 % de ses ressources à ses enfants, et la mère seulement 4,2 %.
Le niveau de vie personnel de la mère est de 2000 – 83 = 1917 euros, très au dessus de celui du père qui est de 2500 – 1118 = 1382 euros.

Hypothèse haute :

Supposons que le montant total des dépenses dédiées aux enfants dans le foyer maternel soit de 1600 euros mensuels.

Avec les mêmes proportions que précédemment :
– en alimentation et soins personnels, le père dépense 224 euros de moins que la mère ;
– en livre, jeux jouets et fournitures diverses, le père dépense 40 euros de moins que la mère ;
– en vêtement et chaussures, le père dépense 107 euros de moins que la mère.

Les dépenses du père pour ses enfants hors transports entre les domiciles parentaux sont alors évaluées à 1600 – 224 – 40 – 107 – 48 = 1181 euros mensuels.
Les dépenses du père pour ses enfants sont donc de : 1181 + 153 = 1334 euros mensuels.

La pension alimentaire, les allocation familiales et les aides fiscales restent inchangées.

Le coût net des enfants pour la mère est donc de : 1600 – 131,95 – 134,5 – 450 = 883,55 euros mensuels.

Le coût net des enfants pour le père est donc de : 1334 + 450 – 50,5 = 1733,5 euros mensuels.

Les enfants coûtent 2,0 fois plus au père qu’à la mère !
Le père finance sur ses ressources 66,2 % du coût net des enfants, tandis quel la mère n’en finance que 33,8 %.
Le père consacre 69,3 % de ses ressources à ses enfants, et la mère seulement 44,2 %.
Le niveau de vie personnel de la mère est de 2000 – 883 = 1117 euros, très au dessus de celui du père qui est de 2500 – 1733 = 767 euros.

Synthèse :

La réalité étant située quelque part entre nos hypothèses basse et haute, nous pouvons conclure que les pères qui vivent une réalité proche de cette situation type financent au moins 2 euros (probablement aux alentours de 3 euros) pour chaque euro financé par la mère.

Il s’agit d’un violation patente de l’article 371-2 du code civil.
Le ratio des coûts nets des enfants devrait être égal au ratio des ressources, soit 2500/2000 = 1,25.
Le père devrait financer 1,25 euros pour chaque euro financé par la mère.

Quel juste montant de pension alimentaire ?

Le montant qui permettrait de respecter le principe de proportionnalité du coût de l’enfant en fonction des ressources serait de 42,5 euros par enfant dans une hypothèse intermédiaire à mi-chemin entre les hypothèses basse et haute… très loin des 225 euros du barème.
Les lecteurs intéressés peuvent le constater en faisant varier sur notre feuille de calcul le montant de la pension alimentaire.

Et si les dépenses directes du père étaient beaucoup plus faibles ?

Nous avons basé nos calculs sur l’hypothèse que hors alimentation, soins personnels, fournitures et habillement les dépenses du père qui bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement dit classique sont de même montant que celles de la mère. Cette hypothèse nous semble raisonnable car tel est l’intérêt de l’enfant. Il semble difficilement contestable que l’intérêt de l’enfant est d’avoir des conditions de vie satisfaisantes pendant le temps où il est avec son père. D’autre part, nous pensons que cela correspond à la pratique de bon nombre de pères qui, coûte que coûte, mettent à disposition de leur enfant tout ce dont il a besoin.

On peut cependant s’interroger sur la sensibilité de nos résultats au montant des dépenses du père pendant ses périodes de garde.

Supposons qu’un père, toujours dans le cadre de notre situation type 2, dépense peu pour ses enfants (Il ne financerait aucun mètre carré supplémentaire, n’achèterait que très peu de vêtements, n’offrirait que peu de sorties, etc).

Dans notre hypothèse basse, le coût net pour le père reste élevé. Même à imaginer qu’il ne dépenserait strictement rien pour ses enfants en dehors des déplacements entre les domiciles parentaux, le coût net des enfants serait encore pour lui de 552 euros mensuels alors pour la mère il resterait de 83 euros.

Dans notre hypothèse haute, il faudrait que les dépenses mensuelles du père pour ses enfants ne représentent que 35 % de celles de mère pour que le ratio de 1,25 soit respecté sur le coût net des enfants. Un tel niveau de dépenses signifierait que le père couperait sur des besoins essentiels, au préjudice de ses enfants. De plus, notre hypothèse haute est… très haute. Nous avons aussi calculé une hypothèse intermédiaire, à mi-chemin entre les hypothèses basse et haute. Dans ce cas, il faudrait que les dépenses du père soient extrêmement faibles (5 % de celles de la mère) pour atteindre le ratio de 1,25.

Même en supposant qu’un père ne dépenserait que très peu pour ses enfants, l’effort financier qui lui serait demandé resterait supérieur à celui demandé à la mère.

Et si la distance entre les domiciles était faible ?

Nos résultats dépendent du coût des transports entre les domiciles parentaux qui sont à la charge du père.
Avec un montant mensuel de frais de transports de 20 euros (en supposant donc que les domiciles soient très proches), les résultats changent bien sûr un peu mais restent largement au désavantage du père. Par exemple, pour l’hypothèse intermédiaire et en supposant des dépenses très faibles du père à hauteur de seulement 20 % de celles de la mère, le coût pour le père est encore 1,36 fois supérieur à celui de la mère.
Les lecteurs intéressés sont invités à se reporter à la feuille de calcul qui contient ces simulations.

Situation 3 : droit de visite et d’hébergement réduit, domiciles très éloignés, ressources de 2500 euros pour le père et 2000 euros pour la mère, deux enfants

Les deux enfants ne sont avec leur père que pendant la moitié des vacances scolaires, soit environ 15 % du temps annuel.
Ni la mère ni le père ne se sont remis en ménage.

Supposons que le père ne dépense que très peu directement pour ses enfants, à hauteur de 10 % des dépenses de la mère (pas de mètres carrés supplémentaires, peu d’achats en vêtements, chaussures, fournitures diverses…). Supposons que les frais annuels de transport pour aller chercher et remmener les enfants chez leur mère représentent 1250 euros (5 déplacements de 250 euros dans l’année).

La pension alimentaire est de 300 euros par enfant, soit 600 euros mensuels (estimation réalisée à partir du barème des pensions alimentaires du Ministère de la Justice).
La mère perçoit les allocations familiales et bénéficie de 134.5 euros mensuels d’aide fiscale. 10
Le père bénéficie de 113.25 euros mensuels d’aide fiscale. 11

Nos simulations montrent que, même dans cette situation où le père ne voit que très peu ses enfants, le coût net des enfants est plus élevé pour le père que pour la mère.
Dans notre hypothèse haute, le ratio des dépenses qui est de 1,02 est cependant cette fois inférieur au ratio des ressources qui est de 1,25. Mais ce n’est pas le cas pour notre hypothèse intermédiaire où le ratio est de 1,66, et encore moins pour notre hypothèse basse où le père dépense cinq fois plus que la mère pour les enfants.

Le montant de pension alimentaire qui permettrait de respecter le principe de proportionnalité du coût de l’enfant en fonction des ressources des parents serait de 260 euros par enfant dans notre hypothèse intermédiaire.

Nous avons aussi fait une simulation dans laquelle un père n’aurait aucune dépense directe pour ses enfants (perte complète de lien parental et non participation aux frais habituellement partagés comme par exemple les frais extra-scolaire ou les restes à charge médicaux), en conservant les mêmes ressources de 2500 et 2000 euros. Même dans ce cas extrême, ce n’est que dans l’hypothèse haute que le coût net des enfants est plus important pour la mère que pour le père. Dans l’hypothèse intermédiaire, le ratio des coûts est encore de 1,12 alors qu’il s’agit d’une situation où le père n’a aucun accès à ses enfants.

Les lecteurs intéressés sont invités à se reporter à la feuille de calcul qui contient ces simulations.

Quelques éléments conclusifs

Ces situations types que nous avons présentées montrent que, dès lors qu’un parent non gardien assume son rôle parental qui est d’accueillir ses enfants dans de bonnes conditions, le montant de ses dépenses pour ses enfants auxquelles s’ajoute la pension alimentaire telle que définie par le barème du Ministère de la Justice conduit à un très fort déséquilibre financier à son détriment.

Pour simplifier, nous n’avons pris en compte comme aides que les allocation familiales et les réductions d’impôts sur le revenu. De nombreuses autres aides existent (aides au logement, aides à la rénovation de l’habitat, aides régionales, départementales ou municipales, aides à la garde d’enfant, chèques vacances, etc.), toutes bien plus favorables au parent résident qu’au parent non résident. Leur prise en compte déséquilibrerait plus encore la situation en la défaveur du père.

Nous n’avons pas réalisé de simulations pour des faibles niveaux de ressources parentales car l’incidence des aides sociales serait alors considérable, ce qui compliquerait sensiblement la collecte des données et leur exploitation. De telles simulations actuellement nous manquent. Elle seraient nécessaires pour étendre la portée de nos résultats, mais les mener à bien demanderait plus de temps que nous n’en disposons.

Nous n’avons pas non plus étudié des situations impliquant des enfants jeunes ou en bas âge. Les dépenses et les aides à prendre en considération seraient multiples, et là encore mener à bien de telles simulations demanderait beaucoup de temps.

Malgré les limites de notre travail qui ne présente qu’un petit nombre de situations et une prise en compte limitée des aides sociales, nos résultats mettent en lumière un parti pris sur lequel a été pensé le barème des pensions alimentaires : le parent débiteur est présumé n’avoir pour ses enfants que des dépenses marginales, d’un montant très faible.

Pour les concepteurs du barème, le parent non résident n’est pas censé jouer un véritable rôle parental. Son foyer n’est pas pensé comme un lieu de vie où ses enfants seraient chez eux et auraient à leur disposition ce dont ils ont besoin pour s’y épanouir. Tout au plus s’agit-il d’un lieu de passage, sans aménagements ni fournitures adaptés.

Quatre-vingt dix sept pour cent des débiteurs étant des pères (source : Infostat Justice n°128, mai 2014), l’idée qui sous-tend le barème est que la contribution essentielle du père, celle que la justice reconnaît et prend en considération, c’est la pension alimentaire. Le reste, ce que le père fait pour ses enfants lorsqu’ils sont avec lui, ce qu’il met en œuvre pour les accueillir dans de bonnes conditions et pourvoir à leurs besoins, ce ne sont que des à côté. Le père type qui a servi de référence pour l’élaboration du barème est un père étriqué, réduit à un service parental minimum.

Mais le barème n’est qu’indicatif, nous dira-t-on. Le juge étudie chaque situation particulière, et en tient compte dans le prononcé du jugement : s’il apparaît que le père est particulièrement investi auprès de son enfant, la pension sera minorée par rapport au barème.
Ceci ne suffit pas à corriger deux biais majeurs.

Premièrement, le barème, comme nous l’avons vu, n’a pas été pensé relativement à la condition d’un père qui met à disposition de son enfant tout ce dont il a besoin. Le barème a été paramétré pour correspondre au cas d’un père qui ne ferait que le minimum, pour ne pas dire moins que le minimum.
Or ce n’est pas ainsi que le barème est présenté. La page du Ministère de la Justice expliquant le barème pour le grand public n’alerte en rien sur ce biais, pas plus que le guide pratique du Ministère de la Justice à destination des magistrats (voir la page le mode d’emploi du barème sur le site du magistrat Jean-Claude Bardout).
Il est plus que probable que les magistrats considèrent les montants du barème comme reflétant une situation « standard » par rapport à laquelle ils peuvent moduler en fonction du cas particulier qu’ils ont à juger. Le barème correspondant en fait à une situation non standard, dégradée, dans laquelle le père est très peu investi auprès de son enfant, un père « normalement investi » qui s’en verra appliquer le montant paiera une pension alimentaire beaucoup trop élevée et sera fortement lésé.

Deuxièmement, équilibrer réellement les contributions des parents peut signifier s’éloigner radicalement du barème.
Ainsi, dans notre situation 1, il faudrait qu’il n’y ait pas de pension alimentaire du tout quand le barème propose 250 euros. Nous fera-t-on croire qu’un juge, prenant en considération la situation particulière, s’éloignera du barème au point de ne pas ordonner de pension alimentaire ? Bien sûr que non ! Peut-être décidera-t-il d’un montant de 200 euros, peut-être de 150 euros… montants tous bien trop élevés qui conduiront à une très forte iniquité au détriment du père.
Dans notre situation 2, le montant juste serait d’environ 42,5 euros au lieu des 225 euros proposés par le barème. Si un juge, considérant la situation en sa particularité, décide dune pension alimentaire de 200 euros, ou même de 150 euros, ce sera toujours bien trop élevé. Le père sera fortement lésé.

Nous prévoyons de publier une page détaillée au sujet du barème des pensions alimentaires.

Notes :

1  Cette répartition 35 % – 65 % correspond à un droit de visite et d’hébergement du mardi sortie des classes au jeudi rentrée des classes une semaine sur deux en plus de la moitié des vacances et d’un week-end sur deux du vendredi sortie des classes au lundi rentrée des classes.

2  Voir par exemple Henri Martin et Hélène Périvier, « Les échelles d’équivalences à l’épreuve des nouvelles configurations familiales », Revue économique vol. 69, Presses de Sciences Po, 2018.

3  Il est difficile d’évaluer la part que représentent les différents postes budgétaires dans les dépenses pour les enfants. Il existe des chiffres concernant les budgets des familles (voir par exemple la publication INSEE références consommation et épargne des ménages). Les pourcentages au niveau des dépenses du ménage dans son ensemble ne sont cependant pas forcément les mêmes que ceux aux niveau des dépenses liées aux enfants. Les pourcentages budgétaires que nous choisissons sont donc arbitraires. Il est important cependant de remarquer qu’ils n’influent que très faiblement sur le résultat final.

4  Pour obtenir ce chiffre, nous avons réalisé des simulation sur le simulateur des impôts. Une personne seule qui déclare 3000 euros de revenu mensuel est imposée à hauteur de 3864 euros. Un parent isolé avec deux enfants à charge qui déclare 3000 euros de revenus mensuels et déclare recevoir 500 euros mensuels de pension alimentaire est imposé à hauteur de 1770 euros. L’aide fiscale est donc de 3864 – 1518 = 2094 euros annuels, ce qui fait 174,5 euros mensuels.

5  Une personne seule qui déclare 3000 euros de revenus mensuels et déclare verser 500 euros mensuels de pension alimentaire est imposée à hauteur de 2287 euros. L’aide fiscale est donc de 3864 – 2287 = 1577 euros annuels, ce qui fait 131.5 euros mensuels.

6  Henman P. et Mitchell K., « Estimating the Costs of Contact for Non-Resident Parents: A Budget Standard Approach », Journal of Social Policy, 30(3), 2001, p. 502.

7 Nous considérons un coût moyen de 40 centimes d’euros le kilomètre, le coût kilométrique marginal utilisé par les services fiscaux pour un véhicule de 7CV fiscaux étant de 0,401 euro (source : barème kilométrique des impôts).

8  Une personne seule qui déclare 2000 euros de revenu mensuel est imposée à hauteur de 1615 euros. Un parent isolé avec deux enfants à charge qui déclare 2000 euros de revenus mensuels et déclare recevoir 360 euros mensuels de pension alimentaire est non imposable. L’aide fiscale est donc de 1615 euros annuels, ce qui fait 134,5 euros mensuels.

9  Une personne seule qui déclare 2500 euros de revenu mensuel est imposée à hauteur de 2371 euros. Une personne seule qui déclare 2500 euros de revenus mensuels et déclare verser 360 euros mensuels de pension alimentaire est imposée à hauteur de 1766 euros. L’aide fiscale est donc de 2371 – 1766 = 605 euros annuels, ce qui fait 50.5 euros mensuels.

10  Une personne seule qui déclare 2000 euros de revenu mensuel est imposée à hauteur de 1615 euros. Un parent isolé avec deux enfants à charge qui déclare 2000 euros de revenus mensuels et déclare recevoir 600 euros mensuels de pension alimentaire est non imposable. L’aide fiscale est donc de 1615 euros annuels, ce qui fait 134,5 euros mensuels.

11  Une personne seule qui déclare 2500 euros de revenu mensuel est imposée à hauteur de 2371 euros. Une personne seule qui déclare 2500 euros de revenus mensuels et déclare verser 600 euros mensuels de pension alimentaire est imposée à hauteur de 1012 euros. L’aide fiscale est donc de 2371 – 1012 = 1359 euros annuels, ce qui fait 113.25 euros mensuels.