Page créée le 20 mars 2019


Introduction

Les professionnels de la justice et de l’enfance (juges aux affaires familiales, psychologues, psychiatres, médecins, médiateurs familiaux, assistants sociaux, et en général les personnels des PMI, CMPP, associations de médiation familiale ou d’aide à la parentalité, etc.), les statisticiens et sociologues qui étudient la famille, les députés qui votent les lois… ne vivent pas bien sûr hors de notre société. Le regard qu’ils portent sur les pères et sur les mères ne sont pas exempts de stéréotypes de sexe, loin s’en faut.

Certaines idées dominantes qui sous-tendent nos raisonnements et décisions reposent sur des bases théoriques élaborées depuis la fin du 19ème siècle jusqu’au milieu du 20ème siècle. Certains des domaines scientifiques qui servent de référence pour analyser les situations parentales ont été élaborés dans une société où la position du père et celle de la mère étaient très clivées, et où cette assignation des rôles fonctionnait comme une évidence qu’il était inutile d’interroger. Jusqu’à la fin du 20ème siècle (et encore hélas assez largement aujourd’hui), les études concernant les enfants ne s’intéressent qu’à la mère, considérée seule care-giver de l’enfant. Et lorsqu’on s’intéresse au père, ce n’est bien souvent que pour dénoncer les ravages sur les enfants de violences ou d’addictions dont ils seraient porteurs.

Les théories classiques de la psychanalyse, particulièrement influentes en France, considèrent que c’est la mère qui institue l’homme en tant que père auprès de l’enfant. Dans le domaine de la psychologie, la théorie de l’attachement reste encore souvent mal comprise comme énonçant un attachement principal à la mère. Ces bases théoriques sont pourtant entachées de biais culturels liés à leur époque d’énonciation. Au 21ème siècle, elles constituent toujours un cadre d’analyse privilégié pour beaucoup des professionnels de l’enfance.

La relation mère-enfant est considérée comme étant première. Peu importe l’implication du père dans la grossesse, l’accouchement, les premières périodes après la naissance. Peu importe si le père a donné les premiers soins, est le principal care-giver ou bien s’il l’est à égalité de présence et d’implication avec la mère. Dans la grille de lecture qui oriente les experts, les juges, mais plus généralement l’ensemble des intervenants de la petite enfance et de l’enfance, le père est second.

Notre société tout entière est imprégnée de cette supposée primauté du lien mère-enfant. Il s’agit d’une des idées reçues les plus puissantes et les plus insidieuses qui soit. Un réflexe non pensé et non interrogé. En cas de besoin, l’institution scolaire contactera naturellement la mère car étant supposée première dans le lien avec l’enfant. Par défaut, l’institution judiciaire confiera naturellement la garde de l’enfant à la mère comme étant supposée premier et incontournable care-giver. Sans aucune prise de recul, les institutions et structures socio-éducatives investiront prioritairement le lien mère-enfant. Sans aucune prise de recul, les instituts d’études statistiques et plus généralement les chercheurs s’intéresseront prioritairement à la mère dès lors qu’il s’agit d’études liées à la famille ou à l’enfance, maintenant le père dans un zone d’ombre, dans une invisibilité statistique et sociologique.

La prise de conscience de ces biais est manifestement très lente et très parcellaire.

A titre d’exemple, afin de mettre en lumière ces mécanismes, considérons une procédure en affaires familiales dans laquelle les deux parents présentent des caractéristiques et capacités normales de « suffisamment bon parent », dans laquelle aucun élément objectif ne permet de dire qu’un des parents pose un problème sérieux vis à vis des enfants, dans laquelle le lien de chacun des parents avec les enfants est suffisamment bon et bien installé. Cette situation est sans aucun doute, et fort heureusement, la plus fréquente. Supposons maintenant qu’un juge aux affaires familiales doive trancher entre confier les enfants au père ou à la mère. Que croyez-vous qu’il décidera ?

Il faut regarder la réalité en face : un juge aux affaires familiales ne confiera un enfant au père que lorsque la mère d’une façon ou d’une autre pose des problèmes sérieux vis-à-vis de l’enfant. Dans toute autre situation, quelles que soient les qualités du père, quel que soit l’attachement des enfants à leur père, et quelle que soit la déchirure que créera pour eux la séparation, la mère sera privilégiée. Le père sera écarté, parce que parent de sexe masculin.

Il s’agit ni plus ni moins que d’une discrimination fondée sur le sexe du parent éloigné de son enfant. Discrimination aux conséquences particulièrement graves pour les pères, mais aussi on l’oublie trop souvent pour leurs enfants indument privés de l’attachement paternel dont ils ont besoin pour se construire.

Le mot discrimination n’est pas ici anecdotique. Il est lourd de sens.

Un autre marqueur de cette discrimination dans les pratiques judiciaires, que les avocats et les associations d’aide aux pères connaissent bien, est qu’il est implicitement demandé au père de prouver qu’il est apte à s’occuper de ses enfants, pas à la mère. Entre l’homme et la femme, que notre république annonce considérer égaux en droit, la charge de la preuve est inversée. Un homme doit a priori prouver qu’il est un bon père (alors qu’on se contente d’une mère qu’elle soit suffisamment bonne, qualité qu’on lui accorde par défaut). C’est une partie incontournable de tout dossier déposé par un homme auprès d’un juge aux affaires familiales. Tandis qu’une femme n’aura à prouver qu’elle est une bonne mère que dans la défensive, lorsque des indices sérieux pourraient laisser penser le contraire et qu’elle doit s’en défendre.

Que doit-on penser d’une justice dont les traitements et attentes vis-à-vis des justiciables sont ainsi différenciées en fonction de leur sexe ?

Que doit-on penser d’une société qui refuse de voir ces discriminations dont sont victimes les pères ?

Cette introduction ne soulève, à titre d’exemple, que quelques pratiques de notre système judiciaire. Celles-ci sont cependant emblématiques de lignes de forces bien plus profondes, aux conséquences bien plus vastes. Les hommes font l’objet dans le contexte de la filiation et de la parentalité de bien d’autres discriminations et inégalités que nous aborderons au fil des chapitres de ce livre.

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