Page créée le 10 décembre 2019


Viol en paternité

C’est une histoire d’un soir, ou de quelques soirs. Jeu de la séduction, un homme et une femme s’attirent mutuellement, font l’amour. Une histoire sans lendemain, comme beaucoup d’autres sur cette terre. Peut-être auront-ils parlé contraception, et peut-être aura-t-elle menti en disant qu’elle « se protège ». Peut-être se sera-il juste laissé emporter par la magie de l’instant, ou par l’alcool. Ils n’utiliseront pas de préservatif. Ou, plus sordide, elle récupéra après coup le préservatif pour s’auto-inséminer.
Elle, sait qu’elle est en début de période d’ovulation, et c’est pour ça qu’elle est là, à ce moment-là, avec cet homme-là qu’elle a voulu proie pour réaliser ses désirs.

C’est une histoire de couple. Lui ne veut pas d’enfant. Ils en ont parlé et cela a clairement été dit. Elle, veut un enfant, et un jour cesse de prendre la pilule, sans l’en informer.

Dans les deux cas l’homme aura été manipulé.

Dans les deux cas l’homme n’aura été qu’un objet dont elle se sera servi.

Dans les deux cas la vie de cet homme aura été brisée, et la vie d’un enfant aura commencé d’une bien méchante façon.

Quelques temps plus tard, l’homme apprendra sa paternité ; parfois l’annonce aura la délicatesse de la visite d’un huissier mandaté pour l’assigner à comparaître en recherche de paternité.

Il n’aura pas d’autre choix que d’assumer ! Aucune échappatoire !

Une fois qu’il aura constaté que le filet d’acier qu’elle a tissé autour de lui, sous l’œil de la société complice, est sans faille aucune, peut-être se résignera-t-il à accepter cet enfant comme sien, et peut-être saura-t-il l’aimer.

Mais peut-être aimer cet enfant sera-t-il au-dessus de ses forces. Qui pourrait le lui reprocher ?

Dans tous les cas il devra payer. Payer le coût humain inestimable et imprescriptible d’une paternité imposée par tromperie. Payer financièrement, aussi.
Il se pourrait bien qu’il ait une situation enviable, et que cela soit une des raisons pour lesquelles il a été choisi pour proie.

D’ailleurs, peut-être même ne veut-elle de lui qu’essentiellement de l’argent. Peut-être ne lui laissera-t-elle même pas aimer cet enfant, faisant barrage à ce qu’ils passent du temps ensemble et le poursuivant encore en justice pour réduire à néant son droit de visite, et réduire sa parentalité à la fonction financière.

Dans tous les cas sa vie aura été brisée.

Peut-être a-t-il d’autres enfants et une vie de famille.
Autant de dommages collatéraux qui devront composer avec ce nouvel arrivant aux mains d’une femme hostile et fort intéressée par l’argent du père, c’est à dire l’argent de la famille.

Pour la justice, la duplicité, la manipulation, la violence de ce viol en paternité, ne compteront en rien.

Pour la justice les choses sont limpides, simples, simplistes : un homme a mis une femme enceinte, il en est responsable, il doit assumer, point.

Le code civil, en effet, ne dit pas autre chose.

acte 1 : l’accouchement établit de fait la filiation avec la mère.

acte 2 : l’article 328 du code civil dispose : « Le parent, même mineur, à l’égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l’enfant, seul qualité pour exercer l’action en recherche de maternité ou de paternité. »

La mère va donc engager une procédure de recherche de paternité, le juge ordonnera un test génétique qui se révélera positif, et l’homme sera déclaré père de l’enfant. Et si d’aventure l’homme refuse de se soumettre au test, le juge considérera ce refus comme un aveu et le déclarera de même père de l’enfant.
Alternativement, l’homme, constatant que les dés de toute façon en sont jetés, évitera peut-être cette douloureuse procédure en se rendant dans une mairie pour déclarer de lui-même reconnaître l’enfant.
Quoi qu’il en soit, il sera déclaré père de l’enfant.

acte 3 : Si il y a procédure de recherche de paternité, l’article 331 du code civil dispose : « le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom. »
Si le père a reconnu l’enfant pour éviter la souffrance morale d’une recherche de paternité à l’issue courue d’avance, la mère introduira une requête auprès d’un tribunal de grande instance et le juge aux affaires familiales statuera sur l’exercice de l’autorité parentale et la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant selon les articles afférents du code civil (en particulier les articles 371-2 et 373-2-1).

Il serait naïf de penser que le juge pourrait se laisser attendrir par la détresse de cet homme manipulé, détruit, prisonnier du piège qui lui a été tendu et dans lequel il est tombé.
Le juge statuera en fonction du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui affirme que l’intérêt de l’enfant est supérieur à l’intérêt des adultes concernés par l’instance.
Sans doute l’homme déclaré père malgré lui tentera-t-il de se prévaloir d’un droit moral à être reconnu victime d’une machination.
Mais l’intérêt de l’enfant à être entretenu par ses parents dictera la sentence : l’homme, ayant été déclaré parent, devra assumer cet enfant et subvenir à ses besoins car ceci est dans l’intérêt de l’enfant, et l’intérêt de l’enfant prime sur toute autre considération.

Un piège !

L’avocate Mary Plard a écrit à sujet un livre intitulé paternités imposées (voir notre note de lecture).

La réalisatrice Lorène Debaisieux a réalisé un documentaire intitulé Sois père et tais toi !

Un piège vis-à-vis duquel, de surcroît, l’état d’esprit dominant est d’en rendre moralement coupable celui-là même qui y est tombé :
Il n’avait qu’à faire attention !
Ils le savent bien, ces mâles qui courent la femelle, qu’un rapport sexuel peut engendrer un enfant.
Peut-être la femme ne s’est-elle pas tout à fait bien comportée, mais l’homme par essence est chasseur, et la femme et l’enfant qui est l’innocence même doivent être protégés.
Peut-être la femme n’a-t-elle pas été irréprochable, mais pour sûr l’homme a fauté !

Double peine !

La victime de la machination est coupable aux yeux de la justice et coupable aux yeux de la morale.

Douleur de se savoir victime et d’être déclaré deux fois coupable.

Alors que pouvons-nous faire, nous qui constatons ces champs de ruine que sont ces vies détruites ?

D’abord il faut affirmer, dans les esprits et dans la loi, que s’emparer par la ruse ou par la force de la semence d’un homme et faire naître un enfant contre sa volonté est un crime. Le code pénal doit punir le viol en paternité, qui fait deux victimes : l’homme dont le consentement à engendrer a été violé, l’enfant conçu par amputation de désir paternel. 1 2

Ensuite, il faut réaffirmer le consentement à l’engendrement.

La semence d’un homme, ses gamètes, ce ne sont pas des objets que l’on peut prendre et utiliser !

Le patrimoine génétique de tout humain l’inscrit dans une ascendance et dans une descendance, le relie à des ancêtres, à des enfants, à des petits-enfants…

Engendrer, c’est inscrire son unicité génétique, épigénétique, son individualité dans l’universalité de la transmission de la vie.

Être engendré, c’est avoir reçu la vie dans la transmission de deux unicités génétiques, épigénétiques, de deux individualités paternelle et maternelle dont l’union crée une individualité nouvelle.

Engendrer dans notre humanité ne peut se concevoir que dans le consentement. 3

Notes :

1  Pour nous, cette notion de viol en paternité que nous proposons ici englobe les situations où la femme ne demande à l’homme ni de reconnaître l’enfant ni de l’entretenir financièrement, ainsi que les situations où l’homme n’est pas informé de la naissance. Une femme qui s’empare par la ruse ou par la force de la semence d’un homme et fait naître un enfant viole ce qu’il a de plus intime, son identité génétique qui l’inscrit dans des ascendances et descendances, et ampute l’enfant d’une part essentielle de son identité. Qu’une femme utilise par la suite le fruit de ce viol pour faire reconnaître la paternité juridique de l’homme et obtenir des avantages, par exemple financiers, peut sans doute être considéré circonstance aggravante. Cela ne change pas cependant la nature du viol en paternité.

2  Ce terme de viol que nous revendiquons suscitera sans doute des oppositions, voire des levers de boucliers. Il s’agit pourtant selon nous du terme adapté pour caractériser les réalités que le viol en paternité recouvre.
Du point de vue du ressenti des victimes :
Les témoignages concordent. Les hommes qui s’expriment à travers le livre de Mary Plard et le documentaire de Loraine Debaisieux se sont sentis violés. Mary Plard écrit p. 130 : « Bien que ce vocabulaire m’ait paru excessif à l’époque, je dois admettre que tous les hommes rencontrés après lui évoquaient la plupart du temps un vécu semblable, avec les mêmes mots porteurs de traumatisme. » Puis ajoute : « Consentants sexuellement, abusés dans leur fonction procréative : tous les hommes qui se sont confiés à moi ont décrit ce viol comme une situation insupportable, au-delà de la violence psychique. Au nom de quoi devrait-on décider que ces témoignages n’ont pas droit de cité ? »
Du point de vue des conséquences, à court et à long terme :
Il est évident que le viol en paternité, au même titre que le viol, constitue un traumatisme dévastateur. Et au même titre que le viol, il s’agit d’un traumatisme bien particulier en ce qu’il touche au plus intime : la sexualité et la fonction procréative. Cependant, si certaines femmes victimes de viol peuvent réussir à surmonter le traumatisme et se libérer, au moins pour l’essentiel, de ses conséquences à long terme, un homme ne sera jamais libéré des conséquence de la venue d’un enfant par viol en paternité. En ce sens, le terme viol peut-être est-il susceptible de critique pour n’être pas assez fort.
De par le caractère procréatif et sexuel :
Le viol est de nature sexuelle et procréative. Et c’est parce que la sexualité touche à cette intimité fondamentale qu’est la procréation que le viol est un traumatisme particulier, différent d’autres traumatismes peut-être moins ancrés dans l’intime. Le viol en paternité est de nature procréative et sexuelle. Il pervertit tout autant l’intimité fondamentale de l’individu qui en est victime.
De par la question du consentement :
Le viol se caractérise par le non consentement à la sexualité, qui demeure quoi qu’on en pense intrinsèquement liée à la fonction procréative. Le viol en paternité se caractérise par le non consentement à la procréation, qui malgré les avancées technologiques demeure pour l’essentiel intrinsèquement liée à la sexualité. Dans les deux cas la question sous-jacente du consentement, aussi complexe soit-elle, aussi difficile soit-elle à appréhender, est primordiale.

3  Voir aussi à ce sujet notre page intitulée Se libérer des conséquences de la naissance ou de la conception d’un enfant : accordé aux femmes mais refusé aux hommes.

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